BAD DREAM

ft. Siuan

†  †  †

Idiote, idiote, idiote. Voilà ce qu’elle était, une idiote. L’ordre était pourtant clair et sa supérieure n’avait pas pour habitude de parler pour ne rien dire. Parmi tous les adjectifs qui lui venaient en tête, souple, n’était pas celui que Bedelia associait à la Spymaster en premier lieu. Voire pas du tout. Et certainement pas au sujet quelque chose de cette envergue. Elle devait simplement observer. Ça n’était pas plus compliqué que cela. La tâche, aussi simple qu’elle fut, était déjà dangereuse et avait nécessité que Siuan lui laissât une capsule de cyanure.
L’espionne en chef lui faisait confiance, c’était évident. Qui pouvait se targuer de partir en mission avec elle, et seulement elle, et de se voir confier une tâche sans l’avoir sur le dos ? Méfiante, sévère, fière, tout autant de qualificatifs qui pouvaient sonner durement mais qui faisaient de sa supérieure un exemple qu’elle suivait. Et elle l’avait toujours fait, avec régularité, se mordant la joue plus d’une fois pour éviter de se rebeller bêtement parce que sa nature n’était pas faite pour recevoir des ordres. Mais la mage avait appris à faire confiance à sa supérieure et se sentait en paix avec les requêtes qui lui étaient faites. Mais après ça… après ça, Siuan lui en ferait voir de toutes les couleurs.

Bedelia n’avait pas réussi à s’en empêcher. La dangereuse silhouette repérée et surveillée avait débarqué et s’était attaquée sans merci à une femme et l’Aes Sedai n’avait pas su ce qui lui était passé par la tête. Mais elle avait foncé, corbeau en avant, après de longues minutes de tergiversations à entendre les plaintes insupportables passer les lèvres de la victime. Elle ne savait déjà plus ce qui avait déclenché sa fureur au point de transgresser les règles qui l’avait tenue à sa place malgré l’injustice du châtiment ; elle était trop occupée à dissimuler la plaie sur son épaule. Heureusement, la victime avait pu s’échapper mais Bedelia s’en était tiré de peu. L’Ordre ne rigolait pas et la silhouette du monstre découpée du feu brûlait, noire, sur sa rétine.

Il avait fallu un certain temps et une démonstration de ses talents d’illusionnistes pour semer l’assaillante, mais elle y était arrivée et se dirigeait désormais vers l’espionne en chef pour rendre ses comptes. L’agent ne comptait pas mentir. Mais ne pas révéler tout de suite que son bras semblait s’anesthésier de seconde en seconde était une option parfaitement valable à ses yeux.
Bedelia ne put davantage réfléchir à ce qu’elle allait lui sortir que Siuan la surprit, dague en main, avec un accueil des plus attendus. L’agent, enfin arrivée à destination, s’immobilisa sur le tas et se redressa, jambes serrées. Elle força ses bras dans son dos et attraper son poignet valide sur l’autre.

« I’m sorry, boss. » Ses yeux se plantèrent dans ceux, évidemment énervés, de sa supérieure. Il n’était pas question de la faire attendre davantage. Elle avait déjà du retard, comme elle le lui avait indiqué. « It was indeed the Order. The village wasn’t empty when I got there, soldiers were still searching for something or someone. I couldn’t catch what it was about. They were taking orders from a woman. She was questioning a local quite violently. » Bedelia s’efforçait de parler sur un ton neutre, de faire comme si la course n’avait pas écourté son souffle sur les derniers mètres qui l’avait séparée de Siuan. Elle évitait prudemment le sujet de son retour tardif. Probablement que l’embarquer sur les questions de boulot serait plus productif et suffisamment distrayant. Et c’était de toute façon beaucoup plus important que le sang qui s’écoulait de son épaule sous la veste qui remontait dans un col serré autour de son cou. Rien qui ne vaille le coup d’être exploré davantage. « Thick swedish accent. About my size. Muscular, fast, doing as much as the others in terms of damages. »    

(c) oxymort

BAD DREAM

ft. Siuan

†  †  †

L’agent acquiesça aux premiers mots de sa supérieure, pour approuver sa demande — son ordre plutôt. Bedelia se savait entendue mais savait aussi que Siuan avait besoin de voir. Elle savait aussi que celle-ci s’entretenait souvent avec la Seconde de la Suprême, connue pour ses capacités de lecture. Elle s’était toujours demandé ce qui les liait et, si leurs disputes faisaient trembler le capitole, l’agent les voyait soudées par une tâche partagée et inégale. Bedelia avait toujours été curieuse, de tout, mais particulièrement de ce qu’elle ne pouvait comprendre.

Mais enfin, ses pensées qui filaient à toute vitesse s’effritèrent alors que la Spymaster reprenait la parole. Elle décida, prudemment, de ne pas répondre à la première question. Elle ne se pensait pas suivie — plus suivie —, avait déployé tout un arsenal d’illusions et Deirdre ne l’avait pas informée. Elle la sentait, pas loin, roder, le vol léger.

Siuan lui posa une deuxième question et cette fois, Bedelia jugea bon de ne pas faire perdurer la mascarade davantage. « She did. » L’information enregistrée, sa supérieure n’attendit pas davantage et reprit sa marche. L’espionne relâcha sa posture rigide, cala son bras contre son flanc et plongea sa main dans ses poches, pleines de cailloux taillés de runes dans le cas précis où il lui faudrait déployer une énième illusion destinée à leur permettre de battre en retraite ou de passer plus frontalement à l’offensive.
Bedelia était quasiment sures qu’elles n’étaient pas suivies. Le sentiment d’urgence de sa supérieure fut suffisant pour enclencher son départ, une confiance absolue en Siuan, et elle se remit à bouger de concert. Elle s’en voulait bien assez pour son erreur et décida de ne rien faire de plus qui les mettrait en danger ou contrarierait l’espionne en chef.

L’agent ne prit conscience de la finesse de la louve que lorsque son pas fut interrompu par la main tendue de Siuan. Bedelia ignorait le liquide traitre qui coulait de sa manche, celui-là qui avait probablement guidé la tortionnaire sur leur chemin. Le bras anesthésié ne pouvait frissonner au contact du liquide chaud issu de la blessure à son épaule. La forme lupine se détacha des ombres et s’approcha des deux espionnes sous les yeux écarquillés de la plus jeune des deux. Elle observa avec attention et une once d’émerveillement terrible la silhouette se modifier pour révéler son assaillante. Il lui sembla qu’une enclume lui tomba dans l’estomac et son premier réflexe, parfaitement ancré dans ses habitudes d’Aes Sedai, fut de se dissimuler à la vue de l’horrible femme.

Bedelia réfléchissait à toute vitesse, savait que si la suédoise était là, c’était entièrement de sa faute. Sa voix s’éleva, l’accent présent mais maîtrisé et la question justement posée lui donnait déjà un indice sur ce qui l’attendait si elles arrivaient à se sortir de là. Cachée — plus par prudence que par peur car si la présence de l’adversaire réveillait bien quelque chose ce n’était pas la terreur qu’elle semblait inspirer mais bien sa colère —, Bedelia se questionnait sur la marche à suivre, les doigts roulant sur les runes, concentrée sur l’échange silencieux. Elle sentit, juste devant elle, sa supérieure vouloir répondre et être coupée, aux premiers mots de sa phrase par l’insolente répartie.

La femme nue, couverte de cendres, se déplaça d’un pas sur le côté, semblant parfaitement consciente du moindre de ses gestes et de la tentative de l’agent de se faire discrète.

« How’s that arm? » Ses yeux se dardèrent dans ceux de l’adversaire, elle crut sentir le corps de Siuan se tendre et elle serra le poing valide autour de la rune qu’elle favorisait parmi les autres. Le caillou gravé était infusé de chaos et vibrait sous ses doigts. Bedelia se retenait pour la seule présence de sa supérieure. « Fine. » Et elle savait également que Siuan lui ferait manger ses paroles plus tard. Mais il lui fallait réagir. « I was aiming for your head. » Elle détestait son sourire. Bedelia se sentait bouillir. Elle contemplait devant elle sa fin : des mains de l’étrangère ou de celle de Siuan, elle préférait malgré tout la deuxième option alors que l'adversaire reposa ses yeux sur l'espionne en chef.

(c) oxymort

BAD DREAM

ft. Siuan

†  †  †

La rune éclata aux pieds de l’étrange silhouette et en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, Bedelia se retrouva projetée au sol, le crâne cognant durement contre la terre dure. Il lui fallut un temps certain pour revenir complètement, rouvrir les yeux et passer sa main valide sur sa paupière marquée de liquide chaud. L’entaille n’était pas profonde, le mal fut évacué tout aussi vite, alors que l’urgence de la situation la reprit. Les souffles, couinements puis grognements lui parvinrent tous en même temps, comme si elle sortait d’un long malaise et ses yeux se posèrent sur la silhouette redressée de la Spymaster. Elle ne pensait même plus à l’après, à quand Siuan lui tordrait le cou pour les avoir mises en danger. Elle ne pensait plus non plus à la cuisante humiliation qu’elle venait de subir : comment la dévote avait pu la retracer malgré ses illusions ? Comment celle-ci l’avait suivie, passé le regard affuté de son familier qui croassa une fois seulement au-dessus d’elle, puis piqua brutalement pour se poser, menaçante, sur une branche au-dessus de la louve redevenue humaine — et inconsciente, grâce à la Damodred.

L’oiseau était furieux, cristallisant toute la colère que Bedelia ressentait contre elle-même et la Sangréal. Ce n’était pas tous les quatre matins que l’on passait ses illusions et ce pourquoi elle avait travaillé toute sa vie.

D’un geste vif, trop vif pour ne pas la faire grogner, l’Aes Sedai se redressa et plaqua son bras blessé contre son ventre, ne cachant plus la plaie infligée par la louve. Au regard de Siuan, elle se posa sur ses genoux et eut l’impression de sentir son esprit se fermer à toutes distractions. L’agent se focalisait sur les ordres de sa supérieure pour ne pas penser à tout le reste. Elle se contenta d’acquiescer, donc, et de suivre le mouvement de Siuan pour s’agenouiller près de l’ennemie.

Le visage fermé, Bedelia réitéra son geste du visage, assurant ainsi à sa supérieure qu’elle serait en capacité d’obéir. L’Aes Sedai n’avait pas pour habitude d’utiliser ainsi sa télépathie et l’apprentissage, par ailleurs, n’avait pas été aisé. Siuan avait bien insisté sur les conséquences d’un tel acte. Mais Bedelia n’eut aucun remord à pénétrer dans l’esprit de la Sangréal, se fichant complètement si par son intrusion celle-ci venait à changer l’identité de l’adversaire.

« I am. »

L’Aes Sedai ne regardait plus sa supérieure et se glissa dans la mémoire de la louve, main de fer dans un gant de velours, malgré la colère qui motivait ses intentions derrière le sortilège. Elle semblait dire, fuck this, and fuck you.

L’esprit de la louve lui sembla relativement peu gardé par rapport à ce qu’elle imaginait de la créature et le rôle qu’elle avait revêtu pour les Sangréal. Bedelia fit un effort pour naviguer l’esprit diffracté, mais contrit, comme si les possibilités qui tapissaient sa peau étaient contenues dans un ensemble de cordes nouées. Pour s’aider, l’Aes Sedai posa sa main sur la peau chaude et bientôt elle trouva les souvenirs à changer. La tâche était ardue et lui demanda toute sa concentration, évacuant le froid de la forêt, les bruits doux des battements d’ailes du corbeau, la présence insupportable de sa boss au-dessus d’elle. She cannot remember us. Bedelia retrouva la trace de leur rencontre et commença à modifier le trajet dans la forêt — elle découvrit par ailleurs la finesse de ses sens lupins lui ayant permis de passer outre une rune. Doucement, Bedelia tira le fil, effaça leur rencontre et l’altercation avec Siuan. Son énergie s’épuisait à mesure, mais elle fit l’effort de refaire plusieurs fois le fil, débusquant les détails, tordant petit à petit les images rémanentes. Quand elle fut satisfaite de ne rien y avoir laissé, l’agente glisse hors de l’esprit avec autant de finesse que son arrivée et redressa ses yeux vers sa supérieure.

« It is done. She will not remember anything. The rune I gave you can disperse what’s left of us : traces, scents, chaos. »

L’Aes Sedai lâcha le bras de l’adversaire, cachant son dégoût et tâcha de lisser ses traits fatigués par la soirée. Dans un geste moins assuré qu’elle ne l’aurait voulu, Bedelia se redressa et adopta, à son habitude, une attitude stricte, jetant un œil à son corbeau qui semblait s’être apaisé. Elle préférait ignorer la silhouette étendue qui réveillait en elle des dispositions étranges, un mépris qui lui donnait envie de frapper l'inconsciente pour se venger. Bedelia regrettait qu'elle ne soit pas morte.
De multiples formules lui passèrent à l’esprit mais Bedelia savait qu’aucune ne lui attirerait les faveurs de Siuan et préféra rester silencieuse, attendant son ordre avec diligence. Le poids de son erreur sur le dos lui permettait d’encaisser la posture inférieure avec plus de facilité. Elle voulait rentrer et surement mettre fin à sa carrière.

(c) oxymort

BAD DREAM

ft. Siuan

† † †

Bedelia encaissa ce qu’elle prenait pour un reproche implicite. Elle se savait douée mais imparfaite et encore jeune pour une sorcière et n’avait aucun ego en elle pour prétendre que ses illusions étaient irréprochables. Mais la situation avait un goût amer et elle ne le supportait pas sur le bout de sa langue.

Nettoyer le visage de la louve était assez humiliant en soit, même si la raison était évidemment bien justifiée à ses yeux. Bedelia n’avait de toute façon pas pour habitude de remettre en question le jugement de sa supérieure qu’elle suivrait dans le noir sans hésiter. Alors qu’elle manipulait l’eau sur le visage aux yeux clos, elle rêvait de laisser un tout petit peu de liquide emplir sa gorge, s’infiltrer dans ses poumons. Plus tard, elle rêverait de la voir cracher son propre sang, peut-être. Bedelia n’était pas de nature futilement vindicative, pesait toujours la lourdeur de ses sentiments. Elle ne s’expliquait donc pas la violence épidermique, peu usuelle, qu’elle ressentait à l’égard de la Sangréal. Tout ce qu’elle avait vu des heures plus tôt n’était surement pas étranger à son aversion.

Par la suite, ouvrir les portails, un par un, fut épuisant. La sensation du Chaos qui lui était prêté était grisante et failli lui faire oublier la fatigue qui l’attendit dès lors que Siuan retira la main de son dos. Elle regretta infiniment l’étrange et furieux courant qui l’avait parcourue, émerveillée comme une enfant par la puissance qui l’avait saisie. Elle qui n’aimait pas particulièrement que l’on entrât dans son espace proche, aurait bien serré davantage la paume de sa supérieure pour, non pas se servir, mais comprendre l’étendue de son Chaos. Bedelia était bien trop curieuse, un défaut qui lui avait été reproché sa jeunesse. Elle avait fini par conscientiser que sa curiosité n’était que l’expression d’un vorace besoin de comprendre le monde qui l’entourait.

Arrivées, enfin, passant le dernier portail ouvert et contrôlé par sa boss, Bedelia observa la figure s’éloigner sans un mot.
L’image de la louve revêtant une peau d’humaine la hantait et tournait en rond dans son esprit fatigué. Sans nul doute que la Sangréal serait sa petite obsession pour un moment. Le temps de se calmer, de faire grandir sa rancœur et puis, de dédramatiser ce puéril défaut qu’elle avait pour mettre de côté cette erreur qui allait lui coûter cher, elle le savait.

Siuan entra la première et Bedelia restât un court temps à l’extérieur de la maisonnette pour pester tranquillement, manquer, comme les enfants, de shooter dans un caillou pour laisser échapper sa frustration. En entrant, elle en mettrait sa main à couper, Siuan allait lui faire la peau. Et pas d’une manière qui lui plairait, rien qui ne résulterait en un match inégal où elle se retrouverait collée à terre en moins de deux. La brune avait pour habitude de laisser échapper sa frustration en se mettant dans des situations de compétition avec Iris. Se battre, d’une manière ou d’une autre, avait toujours été idéal : son frère, d’abord, avait reçu ses poings et puis la Doppler.

Non, Siuan Damodred ne s’abaisserait pas à lui coller une raclée pour la calmer. Elle s’attendait aux yeux noirs et au sarcasme pénible. À l’humiliation renouvelée. Mais ce n’était pas aujourd’hui qu’elle fuirait.
À peine la porte refermée, les yeux de sa supérieure se posèrent sur elle avec un air beaucoup moins complaisant qu’il ne l’avait été jusque-là. C’était le silence avant la tempête. Et pour braver les vents, comme à son habitude, Bedelia se redressa une énième fois et dans un geste réflexe, plaqua ses bras contre ses cuisses plutôt que dans son dos.

Les premiers mots explosifs manquèrent de la faire sursauter et l’Aes Sedai décida de ne pas se laisser avoir par la colère de sa supérieure et s’efforça d’encaisser en lissant les traits de son visage. Par peur d’adresser un regard beaucoup trop insolent en direction de Siuan, Bedelia préféra fixer un point imaginaire juste au-dessus de l’épaule de celle-ci. Les oreilles grandes ouvertes, le sang pulsant à toute allure. Elle encaissa avec difficulté la suite de la tirade. L’agente avait pressenti justement la cuisante humiliation qui la fit déglutir péniblement. Elle se débattait avec sa nature anarchique qu’elle avait mis tant d’années à maîtriser, parce qu’elle savait que la critique était juste. Bedelia s’en voulait atrocement et sa colère avait de multiples visages, des yeux focalisés à la fois sur la Sangréal et sur elle-même, ainsi que sur Siuan qui l’engueulait à juste titre.

L’agente serra les dents, les phalanges blanchies. Elle ne dévia pas de son point imaginaire alors que Siuan se rapprochât en lui ordonnant de lui dévoiler sa plaie. Il n’y avait rien qu’elle avait envie de moins faire que cela. Lui montrer les dégâts de la Sangréal était peut-être le pire. Que celle-ci l’ait atteinte au point de la mettre en colère était une chose, mais bouleverser son intégrité physique, le fait que celle-ci ait pu la toucher même à distance était ce qui, peut-être, la blessait le plus. Métaphoriquement et physiquement.

Sa supérieure était proche d’elle et Bedelia pouvait l’entendre pester intérieurement de sa lenteur mais elle ne réussissait pas à se mettre en route. Il lui fallut, d’abord, délier ses doigts, pincer les lèvres et puis enfin, elle trouva le courage de défaire sa veste. Le tissu avait collé à la plaie et elle respira sèchement pour ne pas laisser entendre un souffle de douleur. Ses gestes étaient vifs, secs. Son bras était rouge du sang coulé, sa main tremblante mais Bedelia resta silencieuse. Elle méritait bien sa blessure, certainement.

Dans sa tête se précipitaient mille formulations, mais elle pouvait anticiper chacune de ses réponses. I’m fine, it’s nothing. Siuan l’enverrait chier, lui pointerait ironiquement sa blessure, lui rappellerait sa bêtise, sa témérité idiote. I can take care of this on my own. Deuxième erreur. Elle ne ferait que répéter son discours. Siuan tournerait toutes ses postures à la dérision. Si elle ne riait pas sèchement en réponse était un miracle. I am sorry. Peut-être la pire option parmi toutes celles qui lui parvenaient.
Bedelia n’avait rien, absolument rien qui ne valut le coup d’être exprimé. Rien qui ne serait prudent dans l’état actuel des choses. Non, comme un bon soldat, l’Aes Sedai se contenterait de subir les conséquences en silence — tant qu’elle le pouvait. Elle supportait le toucher et les attentions péniblement tout en réfléchissant à ce qu’elle pourrait bien faire par la suite. Bedelia savait qu’elle n’arriverait pas à se racheter facilement. La seule chose qui lui restait à faire, certainement, était son travail, correctement, jusqu’à ce que Siuan décidât de la priver de sa place.

« Can I show you my memories, now ? »

(c) oxymort

BAD DREAM

ft. Siuan

† † †

Bedelia se refusa d’exprimer sa gratitude, sentant immédiatement un soulagement alors que son sang cessait de couler. La Spymaster s’éloignait déjà et l’Aes Sedai baissa brièvement son regard sur son bras. Évidemment, celle-ci avait parfaitement exécuté son sortilège. Et évidemment, la plus jeune espionne en ressentait une jalousie motivée par sa soif d’en savoir et d’en avoir plus. Après tout, elle avait l’impression de sentir encore le vide résultant du passage de Chaos de sa Supérieure. Une part d’elle enviait tant de possibilités.

La brune retint un soupir, avait récupéré sa veste pour défaire du reste de sa peau le sang qui avait commencé à sécher avant de la rejeter sans s’en soucier davantage et de se redresser. Elle attendait tranquillement la suite, ne préférait pas donner d’attention à Siuan à qui elle en voulait malgré l’indécence et l’idiotie de son sentiment. Il était plus facile de s’énerver à la terre entière, et spécialement à l’ennemie, pourtant pleinement consciente de l’étendue de sa faute. Bedelia avait été stupide. Mais elle le savait et n’avait pas besoin que la Damodred le lui rappelât. Elle n’avait pas besoin d’elle pour sonder son étrange besoin d’intervention survenu plus tôt et se promettre de ne plus jamais se laisser tenter.

Bedelia pinça les lèvres à l’ordre mais obéit sans attendre une seconde de plus, habituée à réagir au son de la voix de l’espionne. Elle se plia, rigide, à l’exercice mais prit garde à conserver le contrôle de ses traits, alors que son amertume rongeait petit à petit sa patience. Bedelia n’avait pas pour habitude d’être si bouleversée, l’erreur lui pesant sur les épaules.

Siuan s’agaçait mais l’Aes Sedai persista dans son ignorance, attendant que sa supérieure s’infiltrât dans son esprit. Si celle-ci s’attendait à ce que la blonde réagisse, elle n’anticipa la poigne et la colère qui passa ses lèvres. La main agrippée fortement sur sa mâchoire, Bedelia sentit en elle rugir l’outrage, refusant ce contact forcé. Elle supporta avec difficulté le reproche de Siuan, sentait ses doigts maintenir sa mâchoire qui se serrait. Ses poings se fermèrent sur ses cuisses, ses yeux brûlaient de colère.
À la seconde où la Spymaster acheva son sermon, Bedelia réagit avant même de le conscientiser. Dans un geste réflexe, ses doigts agrippèrent le poignet de Siuan qu’elle dégagea d’un geste brutal — peu lui importa si ses ongles griffèrent sa peau. Dans un même temps, elle se redressa, le besoin vital de s’éloigner de son interlocutrice.

« Fuck off ! » L’Aes Sedai sentait toute son amertume remonter le long de sa gorge, bile acide prête à se déverser et brûler ses lèvres au passage. Incapable de contrôler les traits de son visage qui révélait l’étendue de son mécontentement, Bedelia toisait l’espionne. « Do not fucking touch me like that, ever again. I don’t need you to tell me that I fucked up, thank you very much. »

L'Aes Sedai ne prenait pas encore conscience de son comportement, emportée par la colère, la culpabilité et le regret évident d’avoir attiré le danger non seulement dans sa direction mais également celle de Siuan. Elle regretterait plus tard son emportement. « Now, do your thing. »

(c) oxymort

BAD DREAM

ft. Siuan

†  †  †

Le menace lui passa par-dessus la tête. Une part d’elle avait envie de se frotter à sa supérieure, qui l’était également dans sa volonté et son chaos, certainement. Bedelia savait qu’elle ne ressortirait jamais indemne d’une confrontation avec l’héritière. L’idée était mauvaise, l’intention biaisée par son besoin de reprendre le contrôle sur son erreur et sa colère.
Bedelia garda le silence et se redressa, refusant de s’assoir près de Siuan, en partie par fierté, et se contenta de fermer les yeux lorsque l’annonce lui fut faite.

La sensation n’était pas agréable, aussi douce et rapide que fut l’espionne en chef, l’Aes Sedai détestait l’impression insidieuse qui filait au creux de son cerveau. Diligente, consciente du danger encouru par une telle manipulation, Bedelia pava la voie pour Siuan, et lui dévoila l’étendue du désastre. Revenir sur son erreur la brûlait de colère. Elle le savait, sa témérité leur coutait plus qu’une blessure à l’épaule et à l’égo. Bedelia aurait pu compromettre l’île entière, faire tuer Siuan. Elle aurait pu, elle-même, y rester. En se dévoilant, l’Aes Sedai avait donné de précieuses informations à l’ennemie. C’était tout en sachant cela que celle-ci appréhendait le reste de la soirée, la sortie de sa supérieure de son esprit. La Damodred lui tomberait dessus et Bedelia regretterait les minutes précédant le visionnage de ses souvenirs.

L’impression disparut et l’Aes Sedai ouvrit les yeux à nouveau, se tourna vers sa supérieure encore assise qui assimilait les informations et déduisait justement ce qu’il s’était passé plus tôt dans la nuit. Silencieuse, elle observa la figure se redresser, s’approcher d’elle avec, elle le sentait, l’envie de lui coller une gifle à travers la figure et l’Aes Sedai fit son maximum pour ne pas redresser son menton par arrogance. Il fallait qu’elle reprenne ses esprits, il ne s’agissait pas d’une autorité quelconque, mais de la Spymaster, pour qui elle vouait une admiration sans pareille, qu’elle respectait. C’était elle qui avait sa carrière en main. En qui elle avait confiance. Sa fierté, clairement mal-placée, ne devait pas complètement tout ruiner. Bedelia, malgré sa récente bévue, était tout sauf idiote.

La suite ne lui plut guère et l’Aes Sedai encaissa les coups en serrant les poings contre ses cuisses. Elle soutenait son regard, ses yeux brûlants, mais s’efforçait de garder le silence malgré les cris qui se soulevaient dans son esprit. La partie la plus rationnelle de son cerveau lui hurlait de se taire, de maintenir ainsi, docile, et d’endurer la juste rétribution d’une telle idiotie. Sa fierté supportait mal les accusations, et les rappels qui l’emmenèrent droit vers sa famille et en priorité, sa fille. L’image eut pour effet de tempérer son arrogance. Le Chaos développé dans la pièce la dérangea, trop présent, trop imposant. Dans une tentative de reprendre le contrôle, Bedelia roula ses épaules en arrière, grimaçant de douleur.

Siuan éleva à nouveau la voix et cette fois, un éclair de surprise traversa les traits de l’Aes Sedai. Sans l’anticiper, celle-ci avança d’un pas dans la direction de sa supérieure. « You’re… benching me? You can’t do that! » Outrée, Bedelia serrait les poings. L’idée de rester confinée sur l’île, de n’être plus utile, à rien, l’étranglait. Ce n’était plus de la colère qui peignait son visage mais une confusion doublée de frustration. « I’ll be useless inside, this is not my job! I need to do my job! » Bedelia n’envisageait pas son quotidien sans les escapades habituelles et cadrées à l’extérieur, son travail lui importait plus qu’il ne le fallait, certainement, son ambition n’était pas un secret. « I know I did something stupid and it won’t happen again. How am I supposed to prove that if you’re not letting me do what I must? » L’Aes Sedai tenta tant bien que mal de cacher le désespoir que lui infligeait la perspective de faire son travail de manière empêchée. Elle ne savait pas ce que s’imaginait Siuan sur les tâches qui lui seraient incombées mais Bedelia connaissait assez sa supérieure pour savoir qu’elle lui ferait regretter sa bêtise avec application.

(c) oxymort