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Awful energy ▬ Bedelia
@ Iris Crawley
HIBOUX : 122
Fays : 2872
Iris se haïssait. La déception dans le regard d'Isla était pire que cette migraine symptôme de cancer. Voilà comment la Sharp Eye allait finir sa vie. Seule. James était mort. Ses parents avaient, tout le long de leur vie, été habilement persuadés par Iris qu'elle était débrouillarde, indépendante et que rien n'était de trop pour la jeune femme malgré son passif émotif. Andrea était trop occupée à se taper sa cousine et vivre une idylle hors du temps et des normes. Elle était à deux doigts de perdre son job, la passion d'un de toute une vie. Et maintenant, Isla la détesterait aussi fort qu'elle détestait les traitres. Iris venait de perdre un des êtres les plus chers de sa vie. Celle pour qui elle n'aurait jamais hésité à donner de sa vie. Et pourtant, la Sharp Eye lui avait craché au visage des choses qui, d'ordinaire, n'auraient jamais franchi ses lèvres ou même traversées l'esprit.
Ca n'était pas elle. Ca ne pouvait pas être elle.
La mise à pied proférée par sa belle-sœur avait au moins eu le mérite de la sortir de son caisson et de la ramener à la réalité. L'horreur avait gagné ses traits, puis envahit son esprit comme une brume de gel. Iris était revenu, certes, mais trop tard. Elle s'était "éveillée" alors qu'elle quittait les locaux du concile d'un pas furieux, enragé. Sa colère s'était éteinte, l'épouvante avait pris sa place.
Alors la terreur l'avait prise en otage.
Les larmes lui brûlaient les yeux et les joues. Iris n'était plus capable de savoir si elle chialait à cause de sa migraine cancéreuse ou parce qu'Isla lui était perdu à jamais. L'idée lui trouait le torse d'un néant froid qu'elle connaissait trop bien. James y avait creusé sa tombe par son absence.
Ce dernier devait avoir honte de ce qu'elle était devenue.
Désespérée, Iris marchait d'un pas vif – et qui lui souleva des ondes douloureuses jusque dans ses dents – en direction de l'immeuble de Bedelia. Elle avait besoin d'aide et si quelqu'un pouvait prendre deux secondes pour l'écouter entre deux délires, c'était bien son amie d'enfance. Son cœur tapait jusque dans sa gorge. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait, ni quel mal la rongeait. Depuis plusieurs jours, Iris tentait de repousser l'évidence qu'un cancer lui dévorait le cerveau et qu'elle en était à un stade où elle perdait petit à petit la raison. Elle ne se reconnaissait plus, tant bien dans le miroir que dans sa propre tête. Le contrôle lui échappait, ses souvenirs glissaient entre ses doigts comme de l'eau que l'on tenterait de retenir. Certains, semblaient ne pas lui appartenir.
Le désir de se crever les yeux pour ne plus voir défiler l'altération avec Isla la démangeait.
C'était le chaos là-dedans. Un dédale de peur, d'arrogance, d'effroi, de crainte d'être seule, désaimée, de tout perdre. La terreur du silence, l'impression que son corps n'est que marionnette aux fils usés, tirés par ses propres parents. Le vide sourd d'une sœur perdue. D'un frère perdu. Sans savoir qui est qui. Pourquoi, comment. Sa propre identité s'effaçait puis revenait, pour disparaitre de nouveau derrière un débris planté dans sa tête.
Et au milieu de tout ce bordel, son cerveau surchauffait. Iris avait la sensation que chaque nervure était embrasé et qu'elle pouvait mentalement en tracé les sillons de feu.
L'immeuble se dressait devant elle, cachait le soleil assassin qui lui carbonisait la rétine. D'une main tremblante, elle dû s'y reprendre à trois fois pour parvenir à appuyer sur l'interphone au nom de Cortes. La sonnerie lui arracha un couinement douloureux.
Une voix grésilla à l'autre bout.
"C'est Iris."
Sa voix était sèche et rauque.
Nouvelle plainte lorsque la porte se déverrouilla dans un bruit aigüe.
Iris grimpa les escaliers tout en essuyant ses joues rougies de colère et de larmes, d'un geste rageur. Bedelia sera la seule qui pourra, peut-être, l'aider ou, tout du moins l'entendre.
La Sharp Eye n'eut pas besoin de toquer à la porte de l'Aes Sedai qui se trouvait déjà dans l'encadrement.
Les épaules étrangement voutées, comme rentrée sur elle-même, Iris releva un regard froncé de douleur sur son amie.
"Y a quelque chose qui va pas." L'urgence et la peur étaient telles qu'Iris fut incapable de faire preuve de politesse. "Quelque chose ne va pas chez moi."
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@ Bedelia Cortes
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ft. Iris
† † †
L’Aes Sedai venait à peine de poser sa tête contre le coussin de son canapé que la sonnette résonnait dans son appart. Elle enfonça son visage avec force dans le morceau de tissu pour grogner un bon coup et laisser échapper la frustration qui lui tenait au corps depuis des semaines. Elle n’en pouvait plus de jouer le rôle ingrat de babysitter, toujours à courir derrière la fille de la Suprême comme une nounou pas assez bien payée pour ce qu’elle faisait. Son corbeau était quelque part dans les parages, occupait certainement le balcon qui lui était principalement dédié et croassa de loin alors qu’elle ne s’était pas encore levée pour répondre.
Elle se décida alors et répondit enfin pour entendre la voix d’Iris déformée par l’interphone et appuya sans hésiter sur le bouton pour la laisser entrer.
Bien rapidement, la Sharp Eye était sur son palier et la fatigue ainsi que la frustration qui pesaient sur ses épaules s’évaporèrent à la vue de celle qui tirait les traits de son amie. Iris ne ressemblait à rien, et son manque de politesse également alors qu’elle élevait la voix pour lui confier un sentiment d’urgence impossible à manquer. Bedelia s’écarta de l’encadrement de la porte et indiqua le salon à son amie qui ne tarda pas à s’engouffrer dans l’appartement comme traversée par un éclair. L’Aes Sedai referma la porte et suivit Iris qui se mit à marcher dans le salon. Elle peinait à l’observer concrètement.
« Tu ressembles à rien. Qu’est-ce qui t’arrives ? » Par réflexe, Bedelia se dirigeait déjà vers la cuisine pour servir un verre d’eau à la Sharp Eye agitée. Elle revint rapidement et arrêta Iris dans sa course contre elle ne savait quoi, mais rien de visible. Ses traits étaient déformés, ses mains tremblaient. Elle lui imposa de prendre en main le verre comme pour la faire atterrir et chercha son regard. « Assieds-toi. Maintenant. Et dis-moi ce qui va pas. »
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@ Iris Crawley
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L'appartement de Bedelia lui était réconfortant malgré tout. C'était enfin quelque chose qu'elle reconnaissait, où sa mémoire acceptait de diffuser le film de ses souvenirs lorsqu'elle posait le regard sur le canapé où elles avaient passées de nombreuses heures à discuter, sur un livre que la Sharp Eye lui avait prêtée ou sur la photo d'une petite fille qui, avec elle, ramenait des rires d'enfants. Ça ne soulageait ni la douleur, ni la nausée, mais au moins une discrète sensation de réconfort s'entremêla au milieu du désastre.
Le corps de Bedelia s'interpose et force Iris à l'arrêt. Elle n'avait pas vu combien elle respirait vite sous son thorax affolé. Sans qu'elle n'ait à dire quoi que ce soit, la Sharp Eye se retrouvait avec un verre d'eau à la main et là encore, la vue du liquide lui rappela combien elle mourrait de soif. Son estomac était si en vrac et noué qu'il avalait le besoin d'hydratation.
La voix grave de son amie la ramène à elle. Le regard d'Iris dérive, n'arrive jamais à vraiment s'accrocher à celui de son amie. Le tremblement de ses mains menace de faire tomber quelques gouttes d'eau sur le sol.
Maintenant que Bedelia lui demande clairement ce qui n'allait pas, Iris ne sait plus par quel bout prendre le problème.
"J'sais pas ce que j'ai, mais il y a un truc qui me bouffe la tête." Elle ne s'assied toujours pas, incapable de rester en place, toujours son verre d'eau plein en main. "Je dors pas, j'sais même pas quand j'ai bouffé la dernière fois, j'ai l'impression d'avoir le crâne ouvert en deux 24h/24. C'est flou, parfois je sais où j'suis, parfois non, j'passe mon temps à vomir, à gueuler et oublier pourquoi je le fais deux heures après. Je serais pas étonnée de ne plus me souvenir d'être passée ici, demain."
La panique grimpe comme une fièvre. Plus elle étale les symptômes, plus il parait évident qu'Iris est malade. Elle si soucieuse de ses proches, n'a pas la place de se demander comment Bedelia gère son babysitting imposé, comment elle gère le fait de ne pouvoir exercer ce pourquoi elle était passionnée.
"Je deviens folle, Bedelia. J'ai envoyé chier Isla. Moi. Je sais pas d'où s'est sorti alors que les obsèques de Rhianon n'ont même pas encore eu lieu."
Sa voix se brise, ses émotions lui échappent et Iris déteste ça. Elle se détourne, inspire pour ravaler sa peine et ses larmes. La mort de son mentor lui tord les tripes, presque aussi fort que sa dispute avec sa belle-sœur. Rien n'était habituel, ni de voir Crawley perdre le contrôle, pas plus que de l'entendre s'épancher autant. Seulement, elle allait tout perdre. Tout s'effritait comme des murs de sable et tout débordait d'elle.
Entre deux respirations lourdes, Iris avala plusieurs gorgées d'eau, espérant taire le feu de ses entrailles.
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ft. Iris
† † †
Bedelia observe son amie avec un œil critique, suspect. Ses sourcils se froncent alors que la Sharp Eye déblatère un lot d’inquiétudes nouvelles et l’Aes Sedai se demande depuis combien de temps elles ne se sont pas vues. Les deux femmes avaient l’habitude de passer du temps ensemble, professionnellement et amicalement parlant. Bedelia se pensait assez proche d’Iris pour savoir que celle-ci se confierait selon son besoin. D’ailleurs, elle est là et lui déballe tout ce qui ne va pas. Mais l’espionne se dit qu’elle est passée à côté de quelque chose. Même lorsqu’Iris déprimait, comme tout le monde, ou lorsque le souvenir de son frère venait la hanter, jamais elle ne s’agitait de la sorte. Il est étrange pour l’espionne de l’observer ainsi, irritable, incapable de rester sur place, comme contenant un lot d’émotions beaucoup trop lourd pour elle.
Et puis, Iris lui confie sa dernière bourde et alors que la Doppler se détourne, Bedelia lâche une expression sincèrement étonnée. S’il y avait bien quelque chose à dire de l’étrange prophétesse c’était son amour de la règle et de la discipline. Elle-même n’y échappait pas lorsqu’elle passait par son bureau. Mais l’envoyer dans les roses était quelque chose qu’elle n’avait jamais tenté. Ses yeux s’arrondissent, elle observe la silhouette branlante boire comme une assoiffée et puis s’approche enfin, dépose une main sur l’épaule de cette dernière pour l’accompagner dans son canapé. Visiblement, Iris a du mal à se contrôler. Et c’est bien là suffisamment d’indications pour faire entendre à l’espionne que la situation est urgente.
« Tu l’as envoyée chier et t’es toujours en vie ? Au moins t’es sure qu’elle t’apprécie vraiment. » La brune tente un trait d’humour, observe toujours finement son amie qui trouve difficilement le bord de son canapé. D’une main elle récupère le verre déjà vide et décide le remplir à nouveau pour lui recoller dans les mains la seconde suivante. « Si t’essayais de reprendre depuis le début ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Est-ce que t’as consulté ? » Bedelia n’est pas médecin. Le père de sa fille, oui. Elle songe à lui adresser un Xenovox et à le faire venir, ou tout simplement d’envoyer son corbeau. Celle-ci, par ailleurs, croasse de loin et lui demande dans un langage approprié, presque mondain, ce qui peut bien faire autant de bruit dans leur appartement. Puisque tout ce qui appartenait à Bedelia lui appartenait également, et tout particulièrement ce qui brillait facilement au soleil. L’Aes Sedai l’ignore et vient s’assoir aux côtés d’Iris, sans la lâcher. « Tu veux que j’appelle Cecil ? »
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Sauf, pour Siuan.
Elle ne sait pas ce que vient foutre la Spymaster dans le flot de ses pensées incessantes.
Le trait d'humour de son amie ne prend pas ; Si Iris ricane, c'est de désespoir, sa main enfoui dans ses cheveux en bordel. Isla ne devait certainement plus l'apprécier à l'heure actuelle. Elle ne tarderait pas à la maudire, puis finira par l'ignorer. Aucune autre issue ne lui paraissait possible.
Iris remarque à peine l'absence de Bedelia qui lui revient avec un autre verre d'eau plein entre les mains, aussitôt bu d'une traite. Depuis combien de temps n'avait-elle pas bu ? Ou même manger ? Incapable de se répondre à elle-même, elle s'essuie le coin des lèvres distraitement, le regard de nouveau dans le vague avant d'être frappé par une douleur lancinante droit dans le crâne. Comme une flèche de métal chauffée à blanc. Des murmures résonnent dans le fond de ses pensées, Iris ne sait pas à qui ils appartiennent.
La voix de l'espionne la rappelle difficilement au monde, la pousse à réfléchir aux réponses à lui apporter.
Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Iris n'en savait rien. Elle ne saurait même pas l'expliquer correctement, avec des mots censés. Alors que tout l'étouffait un peu plus tôt, la proximité de son amie lui fait du bien. Un ancrage non endommagé par sa stupidité et son cancer qui lui dégradait la psyché. Au moins une relation qu'elle n'avait pas foutue en l'air.
Deirdre croâssait derrière une des fenêtres sans qu'Iris ne sache ce que le corbeau et Bedelia puisse se dire.
"Non. Ne le dérange pas pour rien."
Cécil était médecin, tout comme le père d'Iris. Son enfance avait été bercé par ça, il n'était donc jamais difficile pour la Doppler de se présenter chez Arthur pour se soigner. Ici, elle ressenti une aversion à se faire ausculter, refoulant la gravité au plus profond du ventre, minimisant chaque maux, chaque alertes du corps qui hurlait à sa place. Elle saurait se débrouiller seule, comme toujours.
La réponse d'Iris était stupide. Toute personne censée se serait déjà présenter devant une personne compétente. Cécil était d'autant plus fiable qu'il était un ami proche de Bedelia et le père de sa fille.
" Isla m'a convoquée, j'avais une migraine carabinée depuis la veille et … c'est tout." En réalité, c'était le cas, même si elle omettait ses longues minutes à vomir dans les chiottes du Capitole. Le regard dans le vide, le verre d'eau vide encore en main, elle reprit. "Je sais pas vraiment ce qu'il s'est passé, tout est devenu insupportable. Les bruits autours, sa voix, sa façon de me regarder, de me convoquée comme si j'étais sa chienne…" Sans signes avant-coureur, la fureur revenait. Une bile amère remontait le long de sa gorge, son estomac se nouait. Iris se sentait compressée. Oppressée.
Le tremblement de ses mains reprend en même temps que les croassements du corbeau qui semble vouloir participer à leur conversation. La Sharp Eye ferme les yeux, inspire silencieusement les odeurs de l'appartement pour retrouver l'élément réconfortant, l'ancrage.
Le parfum de Bedelia l'agressait, cette fois. Aussi fort que la chaleur de son corps si proche du sien l'étouffait. Iris déglutit, tente de poursuivre son récit quand son esprit hurle de nouveau. Les mêmes grincements, les mêmes rages et peurs. Les mêmes tourments.
Ses doigts grincent autour du verre. L'inconfort était visible et sans s'en apercevoir, Iris étira son cou, le visage grimaçant. Comme si son corps cherchait à s'extirper d'une présence étrangère.
"Elle m'a virée." Le formuler à voix haute empoisonnait ses idées. Son rire bref et sec s'accompagne de ces mêmes croassements qui lui portent sur les nerfs. Ses pensées crissent. Le fragment l'écharpe. Son chaos qui n'a jamais été aussi sombre, remu en elle comme des flammes. "Trop frustrée d'être aux d'être aux pieds de la Suprême, il a évidemment fallu se donner l'impression de contrôler encore quelque chose." Iris n'était plus là, diriger par une entité invisible qui déformait son sourire en une expression inquiétante. Bedelia devait s'être écartée car la Sharp Eye ne sentait plus la chaleur de sa présence. La pensée de son amie lui inspira un relent de déception et de colère.
Il n'y eu plus rien de chaud ni autour d'elle, ni au fond de son propre corps.
Et ce putain de bruit. Ce vacarme qui claquait dans sa tête comme mille voix qui lui hurlait dessus, amplifiant les manifestations du corbeau …
Sans aucune emprise, l'anglais rugit entre ses dents serrées, visage tourné vers la fenêtre où Deirdre s'arrêta soudain.
"And you, stupid bird, shut up before I…" Iris s'arrêta net, revenant brusquement à elle. Son souffle court, ses jointures blanches serrées autour du verre, elle atterrit avec la même brutalité qu'elle s'était évaporée.
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ft. Iris
† † †
Bedelia a bien dans l’idée de ne pas écouter Iris et de faire appel au père de sa fille et s’apprête à conjurer son Xenovox quand la Doppler reprend la parole. Outre les mots eux-mêmes déjà semblants venir de quelqu’un d’autre que la Sharp Eye, le ton qui écharpe ses lèvres interrompt Bedelia dans son geste. L’Aes Sedai fronce les sourcils, observe l’impatiente historienne se tortiller douloureusement sur son canapé, les mains tremblantes et le visage plié dans une expression de mépris qui ne lui va pas. Bedelia reconnaissait en Iris une loyauté à toute épreuve, qu’elle admirait d’ailleurs ; sa fidélité concernant sa belle-sœur battait tous les records et jamais une telle aversion n’avait été ainsi exprimée. L’espace d’un instant, Bedelia se dit qu’elle ne reconnait plus son amie.
Mais plutôt que de se jeter sur des conclusions idiotes, et de faire l’hypothèse du pire, Bedelia se contente de l’écouter, se relevant doucement sans cesser de garder son attention rivée sur la blonde. L’annonce suffit à l’interrompre dans ses pas cependant et l’Aes Sedai ne retient pas une expression étonnée. Le rire étrange semble crisser à ses oreilles. La suite des accusations souffle la brune. Elle se doutait bien que les deux femmes avaient dû rencontrer des désaccords depuis la vingtaine d’année qu’elle se côtoyait, mais le discours d’Iris semblait sortir d’une autre bouche que la sienne. Bedelia se fait la réflexion qu’il est bien particulier d’assister à un tel décalage.
Et puis, Iris se redresse et hurle.
L’Aes Sedai observe son amie, une seconde abasourdie par la langue et l’insulte, puis la menace, qu’Iris adresse à son familier. Et puis la deuxième seconde lui accorde enfin de réagir. Le sang lui monte aux joues, la colère avec.
« Hey ! Non mais ça va pas ou quoi ? Je t’écoute, avant quoi ? » Bedelia n’en revient pas. La colère, authentique et brûlante, qu’elle observait quelques minutes plus tôt sur le visage d’Iris semble disparaître d’un coup. Mais l’Aes Sedai est irritée, et son oiseau se remet à croasser, invectivant la Doppler. Parmi les outrages mondains qui passent son bec, des battements d’ailes que Bedelia reconnait inquiets. Elle sait que c’est sa propre sensation qui se manifeste par son familier.
« Ça suffit maintenant. J’te reconnais pas, Iris. C’est quoi ton problème exactement ? Hein ? » L’Aes Sedai s’approche de son amie, délaissant l’idée d’appeler Cecil pour prendre le problème autrement, le ton provocant. « Et depuis quand tu parles anglais hors mission ? »
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La Sharp Eye perd de ses couleurs quand son amie s'empourpre de colère, choquée par les propos lancés avec haine. Son cœur fatigué martelait sa poitrine, provoquait des décharges douloureuses jusque dans son ventre. Venait-elle de gâcher la dernière relation intacte qu'elle possédait ? Aussi vite et naturellement qu'elle respirait, la catastrophe se dessinait dans les vestiges de l'esprit qui n'était plus vraiment le sien. Une dispute allait suivre, des propos qui dépassaient les pensées seraient hurlés, crachés, puis viendrait la déception. Encore. Et enfin, le rejet. L'avenir se dessinait sûrement, hors de contrôle et pas une seconde Iris fut capable de rationnaliser.
Les questions déferlaient entre la bouche pulpeuse de Bedelia, mais Iris fut incapable de parler, la gorge trop serrée. Son quotidien qui était un brouhaha incessant se muait en une cacophonie ignoble et aigüe. A l'image d'une explosion de sons, l'agitation de Deidre, ses croassements et les questions de Bedelia lui exacerbent les sens. Le crâne d'Iris était une machine suralimenté, sur stimulé et chaque seconde était une coulée de braise dans les rainures du cerveau en fusion.
C'est quoi ton problème ?
Depuis quand ?
Pourquoi ?
Comment ?
Les propos d'Isla se mêlaient à ceux de l'Aes Sedai semblable à une bouillie désaccordée, puis s'ajoutait la voix froide de Siuan, ou peut-être était-ce la Duchesse Malborough qui crachait sa déception, son dégoût. Ils étaient tous comme le bec de cet oiseau de malheur qui cherchait à lui fendiller le crâne.
La lave remontait, incendiait et déchirait sa psyché. Une véritable agression.
"LA FERME !" La gorge déjà sèche d'Iris s'éraflait, incapable retenir le flux de fureur qui prenait possession de ses mots. Elle était l'image de la folie ; le teint blafard, ses cheveux désordonnés et les fringues froissés. Derrière son regard cerné d'épuisement et plein de rage couvait une terreur de voir s'écrire la fin sans avoir le choix d'en raturer les termes. "Vous me les briser à tous me demander ce qu'il me prend. Est-ce que j'ai la gueule de quelqu'un qui sait ce qu'il se passe ?! J'ai l'air d'avoir la moindre réponse à cette situation de merde ?!" Elle était à bout, leur en voulait tous de ne pas saisir l'urgence ou de ne pas comprendre à sa place dans quel merde elle se trouvait. Elle leur en voulait d'avoir comme premier réflexe de lui foutre le nez dans sa merde plutôt que de l'arracher à ce cauchemar. La rancœur était injuste, seulement Iris n'était plus en capacité de faire la différence. Le fragment la manipulait aussi aisément qu'un marionnettiste. Bien plantée sur ses deux pieds face à Bedelia, c'était la première fois qu'elle se tenait si droite depuis son arrivée. Sa vie s'effondrait et la jeune mage était bien trop épuisée pour lutter contre cette nouvelle vague de rage qui s'écoulait en elle. Dans ses profondeurs, elle crut entendre l'ombre d'un ricanement. Le fragment de Siuan se délectait de la situation.
" A ton avis, pourquoi j'suis là putain." Les larmes montaient aussi vite que la lave et la seconde d'après, la Sharp Eye était à deux doigts d'éclater en sanglot. Imbibée de peur, la rupture était violente. Bedelia ne lui pardonnerait jamais ce qu'il venait de se passer.
Iris grimaça sous la douleur qui frappait à nouveau ses tempes, puis claquait le verre d'un geste sec sur la table. Elle s'en voulu aussitôt lorsque le son lui creva les tympans.
"Laisse tombée." Le murmure fut craché entre les dents violemment serrées. Sans un regard vers son amie la plus proche, Iris se détournait, fuyait. Les odeurs, les lumières, la chaleur, les présences, tout l'agressait. Plutôt se jeter du balcon plutôt que de faire face au visage de Bedelia déformée par la haine, puis la déception.
Les pas rageurs de la Sharp Eye claquaient sur le sol. Déjà, elle dévalait l'escalier qu'elle ne voyait plus au travers les larmes.
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