HALO

ft Ylva
I hope you have fun rotting in hell.
Swim the witch, slay the infidel. (c) BMTH

Sans nul doute que l’idée était mauvaise. Et Isla ne se justifiait pas vraiment son besoin d’y aller par elle-même. Une grande partie d’elle voulait voir. Après tout, la prophétesse n’avait pas l’habitude de ne pas savoir, de ne pas connaître l’objet de ses malédictions. Laisser Ylva entrer sur leur territoire avait été une terrible erreur, elle le savait. La laisser librement faire sa vie sur l’île en était une deuxième. Oh, elle n’avait pas discuté du problème avec Siuan qui connaissait pourtant sa position sur le sujet, mais elle se doutait que l’espionne avait laissé traîner des yeux et des oreilles autour de la louve. Jamais la Spymaster n’aurait laissé une telle menace, seule. Elle n’avait pas compris la décision de Filippa, n’avait pas respecté le vote d’Alba. La venue de la louve avait été le sujet de nombreux reproches qu’Isla avait, pour la première fois, formulés à sa vieille amie, la Suprême. Elle s’était gardée en revanche de converser avec la Juge. La Darcy observait le lien qu’elle entretenait avec la fille Sigurdsson comme un des enjeux majeurs de sa prise de décision. Le sujet était sensible, et l’assistante ne pouvait condamner l’italienne d’une erreur qu’elle aurait probablement fait si Fay venait lui demander une faveur.

Alors, la prophétesse rationnalisait. Si elle était là, peut-être était-ce pour qu’elle les menât vers la dissidence. Peut-être que Filippa jouait un jeu qui échappait à l’assistante pourtant stratège par nature. Son amie la dépassait certainement dans cette compétence. Isla se raccrochait à cette conviction, pour se rassurer sur l’état de Filippa quant à ses prises de décision.

Il n’empêchait que la curiosité l’amenait aux portes de l’héritière de feu, en silence, gardée de toute pluie qui pourrait la tâcher. Il lui fallait voir, plus encore, sentir. Si par chance une vision lui venait, peut-être en apprendrait-elle davantage. Son action était restée secrète, elle venait discrètement, et essuierait des remontrances plus tard s’il le fallait. Mais la Darcy supportait de plus en plus difficilement son serment de neutralité. L’inquiétude quant au sort de l’île l’étreignait suffisamment pour dépasser les limites de sa prudence.

Arrivée sur la propriété, Isla ne prit pas la peine de s’embêter de politesses et contourna la petite maison de plain-pied. Elle espérait que la louve fut seule, car l’héritière de feu savait se montrer pénible. Installée au collège de décision, Isla avait eu assez affaire à elle. Elle ne l’appréciait guère, derrière ses minauderies polies et son apparente gentillesse se cachait une insolence qu’Isla reprochait à sa mentor.

Elle se glissa dans le jardin sans se presser, sentait sous sa peau l’électricité d’un chaos agité qui ne ressemblait pas à celui d’Helmi. Isla n’avait jamais pu se confronter à la Svensson de près. Elle s’était contentée de l’observer de loin et de glisser dans son crâne à son arrivée sur l’île, libérée enfin de sa quarantaine, avant que les dissidents ne prennent d’assaut le lieu de rassemblement et que Siuan se blessât pour elle.

La prophétesse se dirigea naturellement vers une ouverture suffisante pour lui donner un point de vue sur l’intérieur. D’un geste tranquille, elle fit ouvrir la porte. Son comportement dépassait largement les conventions… et les règles. Et elle ne sut qualifiait ce qui la poussait à agir ainsi, bafouant la liberté accordée à la louve.

Alors que celle-ci l’aperçut enfin, Isla posa un pied tranquille à l’intérieur et referma en douceur la porte derrière elle, dans le même silence, avant de se figer. Son allure statuaire, les mains désormais entrelacées et serrées contre son ventre, alimentait la froideur de son attitude. Ylva ne lui sauta pas au corps, ne sembla pas s’arquer non plus comme un animal protégeant son territoire. Isla ne manquait pas pour autant les signes subtils et secrets de nervosité.

La prophétesse avait lu et relu le dossier de la traîtresse. La créature était une arme affutée, mortelle. Sa lecture l’avait faite frissonner, de peur et de dégoût pour cette femme. Qu’Helmi en fut proche la rendait coupable à ses yeux.
La louve parla la première alors qu’Isla se contentait de l’examiner avec précision. Elle observait sa forme et les mouvements subtils mais naturels de son corps pour essayer de la décrypter sans plus attendre. Elle observait les vêtements modestes, presque jetés sur sa stature visiblement musclée, les mains nouées, les cheveux manqués d’être apprêtés. La Svensson semblait être l’antithèse de son amie, toujours dramatiquement parée de luxueux tissus, accessoirisée avec détail.

Prudente, Isla ne fit pas un pas de plus. Lorsqu’elle eut l’impression de ne plus avoir rien à tirer, pour l’instant, de la silhouette qui lui faisait face, ses yeux glissèrent sur l’intérieur. L’espace était jonché de piles de livres, confortablement aménagé. Isla ne put s’empêcher de dénoter le bazar régnant qui semblait témoigner d’une vie intérieure tranquille. Sa deuxième inspection terminée, Isla reposa son regard dans celui d’Ylva.

« Miss Sigurdsson is no concern of mine. » La prophétesse se permit une première tentative et garda ses yeux plantés dans ceux du démon, à la recherche de la moindre expression, flexion qui trahirait ses sentiments à propos de son amie. Mentionner la famille avalante adoptante n’était pas innocent. « I was looking for you. We haven’t been introduced properly. » Isla, précautionneuse, gardait un ton tranquille et bas. Elle attendait de voir si sa voix se rappellerait à la créature. Elle ne comptait guère éprouver la sauvagerie qu’elle avait lue dans le dossier de la femme qui lui faisait face. Mais, surement, celle-ci n’était pas assez stupide pour s’attaquer à une avalante. « Will you not offer me tea? »

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L’innocente feinte lui donnait l’envie de sourire doucement mais la prophétesse se contenta de garder silence et calme comme armure. La louve qui lui faisait face semblait être en conflit, ou en tout cas, à l’arrêt, prise au milieu d’une action. La nonchalance affichée ne trompait pas Isla qui s’amusait étrangement des insolentes réactions. Ses yeux s’étaient remis à la sonder à la seconde où elle avait bougé. Elle enregistrait ses manières, la flexion de sa voix, l’étrangeté de son rire ; son aura tâchée de sang.

La louve reprit la parole et Isla laissa un mince sourire troubler son visage.
Elle ne pouvait pas dire que celle-ci la laissait de marbre. Depuis son arrivée, Ylva l’intriguait parmi d’autres sentiments. Isla la méprisait, aurait préféré avoir affaire à son corps sans vie, en réalité. Assister à sa mort l’aurait peut-être calmée pour quelques semaines. Elle ne connaissait pas bien la psyché de la louve mais se doutait que mourir sur l’île aurait été un supplice. Non pas tant par peur de la douleur, ou de sa fin elle-même, mais sans avoir accompli sa mission. La prophétesse avait fait toute son image d’Ylva, l’avait construite dans son esprit, depuis les rapports qu’elle avait eu le privilège de parcourir. Elle voulait voir, alors, jusqu’où coïncideraient l’image et la réalité du soldat qui effrayait l’île.

Isla acquiesça, lui accorda effectivement que de toutes la manières qu’elle aurait de découvrir son identité, aucune ne lui plairait surement.
La rêveresse se fit violence pour ne pas bouger alors que la louve s’approcha finalement d’elle. Elle ne put retenir la torsion de ses lèvres, à la fois répugnée par la proximité et méfiante, et la tension dans son corps alors qu’Ylva était beaucoup trop près d’elle pour ses standards exigeants.

Le comportement de la lycanthrope, qu’Isla supposait délibérément exagéré, la dégoûtait. L’animalité qu’elle dégageait lui déplaisait franchement, mais elle n’attendait pas grand-chose de plus d’une servante des Sangréal. Probablement que les manières étaient censées l’intimider. La rêveresse ne sous-estimait pas son adversaire mais se refusait à afficher davantage d’émotions.

Le dédain qui passa les lèvres de la louve, la froideur de son regard, la grimace qu’elle ne put empêcher — et bien tout lui donnait malgré tout l’envie de sourire avec suffisance pour parer son propre malaise. Elle se contenta de lisser ses traits et de garder ses yeux dans le regard tranchant. Elle n’avait jamais été habituée à s’effacer et ne le ferait certainement pas devant l’ennemie.

La prophétesse se contenta de fredonner pensivement en guise de réponse. Les deux femmes se toisaient, et Isla pesait chacun des mots de la louve. Celle-ci affichait visiblement son allégeance sans en souffrir — alors pourquoi donc l’avoir gardée sur l’île ? Elle ne comprenait toujours pas la stratégie du Conseil.

L’assistante laissa flotter quelques secondes de silence avant de détacher son regard de celui d’Ylva et de s’éloigner de quelques pas, s’avançant davantage dans la pièce. Si lui tourner le dos n’était probablement pas très prudent, la prophétesse préférait afficher à quel point sa présence et son aura noire ne l’impressionnait pas. Alors qu’elle faisait le tour de la pièce, ses yeux glissaient sur les rayons de livre, les disques déposés par-ci par-là, les nombreuses couvertures — et les vêtements abandonnés. Ses yeux parcouraient les titres, glissaient sur les classiques aux belles couvertures.

« I am important. That is a fact. Not for you, but still. » La prophétesse s’arrêta dans ses pas, finalement, et se retourna enfin en direction d’Ylva, reprenant sa posture rigide et reposant ses doigts croisés sur son ventre. Elle ignora consciemment les menaces. « A smart soldier should know who’s important and who’s not. Surely, your kind would like to know you’re speaking to the Supreme’s right-hand woman. She, who graciously decided to let you live. » Isla laisse le même, mince sourire, reprendre sa place sur ses lèvres, appuyant sur l’ironie don’t elle faisait preuve. Elle n’avait pas pour habitude de détourner ses mots et le ton qu’elle employait, farouchement honnête par essence. Ylva semblait réveiller sa méchanceté et son amertume.

« Isla Darcy is my name. » La rêveresse préférait largement la distance qu’elle avait réinstauré entre elles. Elle se sentait épiée par la louve mais, à défaut, celle-ci n’envahissait plus son espace vital. Alors qu’Isla rentrait un peu plus dans son intimité. « Is the Island to your liking ? You seem to have found quite a peaceful lair with an heir. »

HALO

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Le titre de Siuan dans sa bouche sonnait durement. Elle se doutait que l’espionne ne s’était pas montrée sous son jour le plus accueillant — elle l’espérait, même. Elle espérait que Siuan lui avait détaillé les conditions pénibles dans lesquelles elle trouverait la mort si elle s’aventurait à s’éloigner du droit chemin.

Son propre nom sonnait tout aussi mal entre les lèvres de la suédoise. Isla n’appréciait guère l’accent qu’elle y avait mis, la louve bien contente d’enfin coller une étiquette sur la fière avalante. Isla releva le visage à la question parfaitement idiote qu’elle venait de lui poser et elle préféra ne pas répondre. Certainement que son regard en disait assez. Il était évident qu’Isla aurait préféré ne pas avoir cette discussion avec elle, elle aurait préféré ignorer les menaces qui pesaient sur l’île. Mais Isla n’était pas seulement clairvoyante, mais voulait voir, savoir quelle que que la réalité fut. La louve l’épinglait du regard et puis sembla deviner quelque chose car ses yeux semblèrent se préciser sur leur cible. Comme un animal qui zieute sa proie.

Ylva reprit la parole, et statua l’évidence. La prophétesse qui ne perdait pas son mince sourire resta de marbre. Elle ne se laissa pas non plus perturber par les deux syllabes de son prénom passant encore ses lèvres, ni par son avancée dans sa direction. La rêveresse se doutait que sa tension s’était sentie, plus tôt, et qu’Ylva appréciait certainement la lui provoquer encore. Elle tâcha du mieux que possible de rester imperturbable. Ses yeux ne quittaient pas le regard acéré de la louve qui semblait beaucoup moins sur ses gardes, et plus confiante dans la posture adoptée.

Elle était désormais proche d’elle, beaucoup trop proche. Son sourire se transformait. Celui d’Isla perdait en vigueur, car elle voulait retrouver un peu de sa neutralité caractéristique. La lycanthrope se montrait théâtrale désormais et Isla réprima un rire sarcastique. L’ennemie était fière, et si l’assistante était prudente, elle ne considérait nullement l’option de battre en retraite désormais. Après tout, elle avait déjà largement dépassé les limites de la décence.

Plutôt que de lui donner la satisfaction d’une réponse guidée par son mépris, qui pesait pourtant sur le bout de sa langue, Isla se contenta à nouveau de rester silencieuse. Elle s’épargna un nouveau fredonnement, garda simplement son regard dans le sien, écartelant les pupilles qui la fixaient comme si elle pouvait y lire l’avenir. Isla se refusait à toucher volontairement la femme. Elle aurait aimé, pourtant, se servir d’elle comme d’un conduit divinatoire et puiser en elle toutes les réponses à ses questions. Comme elle aimerait se glisser à nouveau, finement, dans son petit esprit, se disait-elle ; et fouiller. Isla était certaine que la louve était riche de complexité et qu’il serait une expérience toute particulière de plonger sa psyché.
Ses propres prunelles semblèrent s’éclaircir d’une envie toute particulière.

« You’re prettier than I thought. » Lorsque le silence ne sembla plus nécessaire, Isla décida de se montrer honnête. Elle détacha son regard de celui de la louve pour glisser sur les traits de son visage, de son cou, puis brièvement sur le reste de sa silhouette avant de replanter son regard dans les billes noires. « And of course, I am curious. Who wouldn’t be ? » La prophétesse pencha à peine le visage sur le côté, les paupières plissées face à l’évidence. « The reports à quite detailed, yes. But I prefer to see for myself. »

Luttant contre ses instincts premiers, Isla fit un léger pas de plus, rompant davantage la distance. Elle prenait garde à ne pas toucher la louve, mais se plaisait à l’observer du haut de ses quelques centimètres supérieurs. « I would love to hear what you have to say, Ylva. »

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Isla nota la délicieuse surprise, dissimula sa satisfaction alors qu’Ylva lissait déjà ses traits et se parait à nouveau d’un sourire en réponse. Isla pouvait sentir d’ici la créature ronronner — bien que son alter égo fut canin. La louve semblait franchement s’amuser. Et si celle-ci n’était pas aussi dangereuse, Isla se laisserait certainement portée par la bêtise qui l’avait déjà menée jusque-là, et sourirait également. Mais la prophétesse ne sous-estimait la traitresse, et était venue pour assouvir sa curiosité, non pour se laisser aller au petit jeu qu’elle tentait de mener et s’y noyer. Il était heureux, par ailleurs, que la lycanthrope morde si bien à cette nouvelle approche.

Elle ignora l’interrogation, arquant un sourcil pour seule réaction, et se concentra sur l’aura qui entourait la Sangréal. Sur les couleurs et les tâches sombres, uniques, flottant comme un halo dangereux autour de sa silhouette. La grisaille vibrait, menaçante, opaque, chinée de couleur sang. Il était étrange de se confronter à la matière de ses cauchemars, pensa la prophétesse, en chair et en os, fière de son allégeance.

Le suédois lui parvint, l’accent sur son nom toujours aussi déplaisant. Isla gardait un visage neutre, tranquille, contrôlant chacun de ses mouvements ; bien qu’elle n’en fît peu. Droite et sereine, la rêveresse gardait ses yeux plantés dans les billes noires à nouveau avec la claire intention de se concentrer à nouveau sur ce qu’il pourrait s’y passer. Le Chaos de la louve brûlait, intranquille. Les deux femmes s’opposaient en tout point, et ce constat rassura l’assistante.

Plongée dans son examen, Isla ne pressentit pas la réaction d’Ylva mais sentit, sous sa peau, une colère immédiate rugir et faire grimper la température de sa peau. Les doigts de l’étrangère s’enroulèrent fermement autour de sa mâchoire, et seule sa discipline si profondément ancrée en elle la retint de cracher au visage du soldat. Elle observa, furieuse, la scène se dérouler à toute vitesse : frissonner de dégoût lorsque la langue glissa sur sa peau. Tous ses sens s’alertèrent, la louve était trop proche d’elle. Ylva aurait pu crier, l’effet aurait été le même, ils résonnèrent avec une force déraisonnable au creux de son cerveau. La légère morsure eut raison de sa patience et Isla sentit sa main s’élever dans un geste qui se voulait violent. Isla se vit gifler la louve et peina à restreindre son mouvement. Son poing se serra à la place, la rêveresse inspira longuement, ferma les yeux pour se recentrer, la poitrine comprimée. La prophétesse se sentait piégée, submergée par l’assaut sensoriel : elle haïssait l’odeur de la suédoise, pouvait presque y percevoir des fragrances de sang. Sa présence était insupportable. La rêveresse serrait de manière peu naturelle son bras contre ses flancs, s’urgeant de ne pas réagir davantage, le corps tendu, plus tendu encore qu’à son arrivée.

Mais elle ne bougea pas, ne s’extirpa pas de l’emprise qui la rendait malade. Salie. Les doigts s’enfonçant dans sa peau réveillaient sa fierté et son besoin d’autorité. Isla ne supportait pas sa position, se sentait inférieure. Et ce costume ridicule ne lui allait pas.

Après de longues secondes à remettre de l’ordre dans ses battements de cœur, la prophétesse délassa ses doigts et ouvrit à nouveau les paupières, fixant d’un œil torve le visage beaucoup trop proche.

« Don't. » Elle murmura à son tour, soufflant presque, le ton neutre. Rester calme lui coutait toute son énergie. Dans un mouvement qui se voulait tranquille, la prophétesse redressa sa main, et vint enserrer le poignet de la louve. Ses doigts serraient avec force, contrastant avec l’étrange calme qu’elle s’efforçait de maintenir, ses ongles forçaient sur la peau ; et ainsi, elle se libéra de l’emprise.

« You should¬ »

Une fracture familière interrompit la prophétesse qui se laissa engouffrer. La douce chaleur d’une vision passa son corps, et le sol sembla se dérober sous ses pieds.

La prophétesse, à la place du sang, perçoit l’odeur du feu et se retrouve dans les souvenirs d’une enfant effrayée par des flammes dangereuses qui rongent sa maison. Une silhouette s’éloigne à toute vitesse et elle s’entend crier. C’est de la peur, de la confusion et déjà de la colère qu’elle ressent chez la jeune Ylva qui cherche un moyen de sortir. Les cris de ses parents résonnent.

Lorsque ses yeux s’ouvrirent à nouveau sur la louve, Isla sentit que sa poigne ne s’était pas desserrée, au contraire. Agrippée à la lycanthrope redressée, un air étrange collé sur le visage, la prophétesse rattrapa son regard. Ignorant les vertiges qui la prenaient habituellement à chaque fin de vision, Isla se concentrait sur les restants d’impression qui lui collaient à la peau. Elle entendait encore le suédois hurlé à travers le bois brûlé, l’odeur du feu lui brûler le nez, la terreur l’étreindre, la peine avec. Elle enregistrait, comme chaque fois, les images qu’elle venait de découvrir, dans sa forteresse mentale. Cataloguées. Prêtes à être revisionnées. La prophétesse peinait à faire tourner ses pensées encore alourdies par la vision, mais sa rigueur naturelle lui permit de résorber immédiatement la présence de son chaos, comme une sphère, une aura qui s’était lourdement diffusée dans la pièce avant de rentrer en rampant comme un serpent dans sa boite scellée.

Elle faisait déjà les liens, revoyait les lignes du dossier, se souvenait de la colère d’Alba, vingt ans plus tôt, quand la jeune héritière était arrivée.

Finalement, la rêveresse lâcha l’étrangère. Ses yeux se perdirent un moment autour de la silhouette, avant de revenir se planter dans ceux de la louve. Isla tâcha d’ignorer le désagrément d’avoir découvert sa faculté à la créature qui ne la lâchait pas du regard — au profit des informations et des lourdes émotions qu’elle gardait de la vision.

« Well. That is interesting. »

HALO

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Isla se contenta de sourire finement pour réponse à sa remarque. L’appellation lui donnait l’envie de lui arracher les mots de la bouche, mais elle ne se laisserait pas aller à un tel abandon, une telle bêtise. Elle ne jouerait pas à ce point au petit jeu d’Ylva qui s’y donnait visiblement à cœur joie. L’insolence sur les traits, la nonchalance qui qualifiait sa posture agaçait Isla qui, cependant, préférait se concentrer sur les images perçues. Sur ce passé qui lui était découvert. La prophétesse redressa doucement les épaules, reposta ses mains tranquillement contre son ventre, et s’acharnait à interpréter en silence les images. Considérant la proximité de l’intruse avec la jeune héritière, Isla s’était permise de lire assidument ce que le Capitole tenait sur Helmi. Le récit de son sauvetage ne lui avait pas été épargné par Alba. Être de l’autre côté de ce conte était particulièrement intéressant. Douloureux, également – la terreur qui avait traversé l’enfant résonnait encore à l’intérieur d’elle comme un écho de sa vision.

Ses pérégrinations silencieuses furent supplantées un instant par une question, rhétorique, encore, de la lycanthrope qui attaquait à nouveau. La rêveresse haussa un sourcil, attentive à tout ce que lui raconterait l’étrangère. La réponse lui donna la nausée, bien qu’elle restât impassible. L’idée de devoir subir vision après vision lui était abjecte ; pure torture. Son don était quelque chose de précieux, de fragile, quelque chose qui, entre les mains des impurs pouvait tourner au désastre. Isla observait le sourire étrange, absurde, parer les lèvres de la lycanthrope, frissonnant intérieurement en s’imaginant à la place des prophètes prisonniers. Ylva lui confirmait des rumeurs sans fond, à peine esquissées, et c’était là le plus important.

Ylva finissait son affreux récit, glissait ses menaces sans l’ombre d’un regret, et Isla se demanda bien ce que l’héritière de feu devait avoir fait pour héberger une créature pareille. Elle se contenta de lui sourire à nouveau plus franchement, plus charmante, ne voulait pas laisser paraître son trouble. La louve était convaincue, et convaincante. Mais Isla ne souhaitait lui montrer sa résolution non plus : elle mourrait avant qu’un Sangréal ne lui mît la main dessus.

« I am not so surprised after all. You’re at war. Any means necessary, right? » À son tour de jouer de rhétorique pour ce qui était, elle en était sure, une conviction d’Ylva. Oh, Isla aimerait savoir exactement le contenu des croyances de l’étrangère. La louve l’intriguait, par son habileté mais surtout par la force de sa conviction. Pour la prophétesse, il n’existait pas de soldat sans foi, et elle se demandait pourquoi la lycanthrope se battait. Était-ce vraiment pour la pureté des Sangreal ? Sur cette île, parfaitement fermée, pourquoi gardait-elle tant de conviction ? Dans quelle mesure le soldat avait été conditionné ? Chaque minute passée sans étudier la suédoise était perdue.

« So, they force seers to see, and I guess they fed the dog in you until you forgot how to be human. I read the stories about you. I am curious : are some of you more than a single-use only toy? Are you allowed just to be, something else than the pure and raw embodiment of your gift? » La prophétesse se montrait neutre, précautionneuse, le ton volontairement curieux, défait d’ironie ou de mépris, sa gardant d’une nouvelle attaque. Elle n’oubliait pas le peu de distance qu’il y avait entre elles deux. La dernière chose qu’Isla voulait était que leur discussion se termina maintenant, par une impulsion violente d’Ylva. Elle voulait en savoir plus, voulait la connaître. Elle sembla pondérer sa question quelques secondes, avant de se résigner à la poser. « Forgive my curiosity, but… is it true, then, that wolves are scared of fire? »

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Ylva la détaillait comme elle le faisait elle-même, attentive aux informations qui lui étaient délivrées. La louve se confessait peut-être plus qu’elle ne le souhaitait, ou lui livrait exactement suffisamment d’informations pour satisfaire l’appétit indécent d’Isla la concernant. Peu lui importait, réellement, elle appréciait l’élan d’honnêteté. C’était, visiblement, le ton sur lequel elles s’accordaient. Et si Isla détestait tout en l’ennemie, était toujours convaincue qu’il aurait mieux fallut qu’elle soit morte, elle reconnaissait aisément que la franchise était précieuse dans un monde où le mensonge était courant. Étonnamment, face à la prophétesse, le mensonge était plus fréquent.

La remarque d’Ylva la surprit, parce que pour la première fois de leur échange, Isla était d’accord avec elle. Pourquoi ne pas se servir de son don, effectivement pour servir sa cause. Elle se contenta d’acquiescer, alors, enregistrant petit à petit tous ses faux secrets, toutes ses manies, les torsions du visage ou des lèvres qui laissaient apparaître son alter-égo lupin. Isla ne se souvenait pas avoir été aussi proche d’un ou d’une lycanthrope de la sorte. Elle ne portait pas en elle la curiosité de découvrir les secrets des autres créatures. Mais Ylva était un objet unique de curiosité, et Isla collectionnait le savoir plus que tout.

La réaction, impulsive, la fit sourire, alors que ses yeux se perdirent une seconde sur le mouvement sec puis sur la grimace qui tordait désormais le visage de l’ennemie. Elle vit la réalisation arriver et son sourire ne fit que s’agrandir. Il était étrange, par ailleurs, de plier ses lèvres à cet exercice quand elle n’était pas du tout amusée par la situation. Satisfaite, oui, de pouvoir converser avec l’autre, celle que tout le monde fuyait. Satisfaite de la comprendre davantage, d’en apprendre directement de sa bouche quand elle se terrait chez une héritière de l’île. Le duo lui paraissait des plus improbables. Enfin, un rire supplanta l’hésitation et la créature entreprit de démontrer à nouveau sa capacité à l’horreur. Isla observait un éclat étrange briller dans ses yeux, les lèvres tordues dans une expression trop enjouée pour le sujet abordé.

De longues cicatrices lui furent révélées l’espace d’un court moment et Isla ne put cacher sa surprise, ses sourcils se soulevèrent et retombèrent aussi vite que la louve lui laissa entrevoir les marques sur sa peau. Ses yeux restèrent accrochés sur la peau lui apparaissant à nouveau lisse, et la prophétesse ne put s’empêcher d’être émerveillée par l’idée même qu’Ylva cachât aux yeux de tous ses marques. Depuis son arrivée, la louve ne lui cachait rien. Son allégeance était claire, ses menaces aussi dévoilées que ses canines lorsqu’elle souriait, son but semblait clair. Elle ne portait pas de nombreuses couches qui pourraient, comme Isla, la protéger du soleil ou des regards intrusifs. Elle se livrait à son ennemie sans rougir de ses horreurs. Mais les cicatrices, elles, étaient marquées. Ce détail lui semblait crucial, révélait l’humanité de la créature.

Ses pensées furent interrompues par une nouvelle approchée de la brune et Isla cessa de sourire aux murmures prononcés. La proximité lui donnait la nausée, comme toujours, mais les images qui persistaient sur sa rétine étaient désormais accompagnées d’un contexte dont elle se serait bien passée. La Sangréal s’éloignât de nouveau et Isla suivait sa silhouette avec attention, le corps toujours droit et le regard attentif.

La confession lui fit battre des paupières, et la prophétesse se rappela sa première vision à son sujet. Déjà, au milieu de ses prévisions, la créature était menaçante et en cela, elle ne la décevait pas. Isla restait prudemment neutre, mais elle sentit sa gorge s’assécher, indignée par la nonchalance qui accompagnait les annonces terribles. Le claquement des doigts juste à côté de son visage eut pour effet de la faire grimacer. Le bruit, sec mais violent, résonna dans son crâne. Elle ne lui accorda pas le plaisir de réagir davantage et se contenta de replacer son poids sur ses pieds, délassa ses doigts pour en passer deux sur sa tempe gauche, signalant son agacement. L’assistante faisait tous les efforts possibles pour ne pas montrer la vraie nature de ses sentiments : l’être qui lui faisait face la dégoûtait, l’horrifiait ; vivait à la hauteur des comptes rendus à son sujet. Pourtant, Isla ne voulait pas, encore, s’en aller. Encore un peu, se disait-elle. Encore un peu d’informations, de quoi se nourrir, jusqu’à se rappeler l’idiotie de sa venue ici.

De longues secondes passèrent et, finalement, Isla soupira. Ses yeux revinrent accrocher ceux d’Ylva, comme pour voir encore s’il s’y passait d’autres choses. Il était tentant d’y plonger réellement, d’autant que la louve n’avait, à sa mémoire, aucune réelle barrière défensive. Mais elle avait déjà dévoilé son chaos sans le vouloir et ne souhaitait pas davantage se laisser voir.

« I saw, and felt, too. Your terror. But your rage too. At this age, it is something. » La Darcy ne souriait plus et se contentait d’afficher une neutralité qui lui permettait d’équilibrer son ressentiment en sa curiosité. « I am guessing that Miss Sigurdsson is the one I saw disappearing in the flames? » Sa question n’avait nullement besoin de réponse, et lui délivrait plutôt le contenu de ses pensées. « Her file is quite detailed, too. I suppose it says something that fire is the element she favors. And you didn’t answer, really: does it scare you? Does she? » La prophétesse se redressa, glissa ses doigts autour du pendentif qui trônait sur sa poitrine dans un geste réflexe et rassurant. Elle pencha la tête sur le côté, à peine, examinant à nouveau les traits de la louve. « You know, I’ve seen you, before your arrival. When they were searching after the one destroying villages, spreading terror and discord. I had a vision of you, and you appeared to me surrounded by flames, bodies at your feet, screaming orders with such authority. It was terrifying, I won’t lie. You invaded my mind and kept me awake at night. You followed me in my dreams. » La prophétesse faisait preuve d’un autre niveau d’honnêteté et aurait pu prédire la satisfaction s’étaler sur les traits de l’ennemie. Il était étonnant qu’elle se confie sur un tel évènement, n’avait avoué à personne comme la silhouette musclée s’était imprimée dans son esprit terrifié à l’idée de voir le mal débarquer sur ses terres. « I advised the Council to kill you the moment I saw you, lying, unconscious, wounded but on our grounds. I know we’re making a mistake by letting you live. » Un nouveau soupir passa ses lèvres, parfaitement transparente sur ses pensées. « I wonder if fire will be the end of you. It seems to follow you around. »

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I hope you have fun rotting in hell.
Swim the witch, slay the infidel. (c) BMTH

Ylva lui délivrait des informations, précieuses, probablement sans s’en douter. Ou plus certainement, en n’ayant que faire de ses démonstrations. La menace était passée et Isla décida qu’il serait meilleur à l’avenir de nommer correctement l’amie de son interlocutrice. Elle n’avait, de toute façon, plus rien à tirer à l’appeler autrement, maintenant qu’Ylva avait dévoilé son attachement. Voler supposait propriété. Isla se demandait à quel point la suédoise était attachée à l’héritière. Après tout, le ressentiment était vibrant, si la louve avait gardé un ton admirablement neutre, ses yeux n’avaient pas menti. La prophétesse était curieuse de creuser un peu plus la relation entre les deux femmes ; cette envie dépassant les seuils de la décence, elle décida de s’y reprendre à une autre fois. Et peut-être de s’adresser directement à l’héritière. Étaient-elles marquées l’une et l’autre d’une relation qui avait pourtant souffert de temps d’années d’absence ? Une part d’Isla sympathisait avec l’idée, après tout, celle-ci savait bien que l’absence d’un être aimé ne se calmait pas avec le temps, surtout lorsque celui ou celle-ci s’évaporait dans la nature.

Elle décida de laisser la question de la lycanthrope sans réponse, se contentant d’observer à quel point celle-ci baignait dans la satisfaction à son aveu. Elle comptait sur la fierté de la créature pour la pousser à faire une erreur, et lui révéler davantage. Isla supportait son mépris et la nausée que lui provoquant cet échange dans l’espoir d’en savoir toujours davantage. Elle fut ravie alors de voir finalement Ylva se laisser aller à l’échange. La prophétesse supportait non sans mal l’examen que l’ennemie faisait d’elle, certainement à la recherche d’une nouvelle expression, d’une réaction quelconque. Isla décida de ne pas lui accorder la grimace qui accompagna la proximité soudaine et accentuée de la brune qui cherchait elle ne savait quoi.

Son parfum lui parvint, son chaos trainant toujours, vibrant. Isla n’avait qu’à tendre la main de quelques centimètres pour la déposer sur le bras, ou l’épaule et découvrir encore ce qui se cachait dans le cœur d’Ylva. Elle aurait enfin une partie des réponses à son questionnement. Mais elle se contenta de l’observer récupérer une bouteille qu’elle supposa d’alcool et des verres ; puis s’assoir, sans s’inquiéter de la prophétesse.

Ylva lui présenta le fauteuil à ses côtés et Isla décida de ne pas répondre à l’injonction immédiatement, observant la louve préparer leurs verres, nonchalante. La jeune femme se montrait sous un jour différent et pourtant, la menace semblait planer juste sous la surface. Isla pouvait sentir le danger, n’ignorait pas la violence dont était capable la lycanthrope. Elle ne s’était pas imaginée boire un verre en compagnie de l’ennemie d’Avalon. Une part d’elle voulait décliner l’invitation et s’en aller. L’autre voyait la possibilité, peut-être, d’arriver à se satisfaire de dernières informations à son sujet.

Ylva reprit la parole et Isla s’était approchée du fauteuil, déposant ses mains sur le dossier dans l’attente de bien vouloir se plier à la demande. L’impertinence ne la fit pas sourire, visiblement entretenir le mythe du monstre plaisait à la louve et la prophétesse se demanda si ignorer sa vantardise n’était pas la clef pour dépasser les illusions déployées par celle-ci.
Aux débuts de la confession, Isla se décida à rejoindre finalement la place qui lui était proposée. Ses yeux se braquèrent à nouveau dans les billes noires, glissaient sur les traits de son visage, imprimait dans son esprit les expressions d’Ylva. Elle récupéra le verre, fredonna pensivement pour seule réponse et voulu boire une gorgée d’alcool mais se fit interrompre par l’annonce glissée sur le même ton, conversationnel. La prophétesse ne put empêcher un éclat noir, furieux, teinter ses yeux clairs alors que la louve la saluait pour boire l’alcool dont l’odeur lui déplaisait.

Ses doigts glissaient pour faire tourner le verre dans un rythme tranquille. Après un long moment de silence, se demandant bien comment reprendre la conversation, la prophétesse avala à son tour le liquide secoué dans son verre. L’alcool lui brûla la gorge et elle ne put s’empêcher une mince grimace. Elle était habituée aux alcools de toute sorte, mais n’appréciait que peu ce qu’elle buvait. Elle décida néanmoins de cacher son mépris par un air qui se voulait surpris, à la place et, sans quitter son verre des mains, elle finit par redresser son regard et s’enfoncer dans le fauteuil.
Une jambe croisée, malgré tout engoncée dans sa discipline habituelle, Isla laissa passer un long silence, encore. Il lui paraissait inutile de reprendre sa menace, qui ne l’amènerait à rien, et faisait certainement parti du jeu d’Ylva — quoi qu’elle la crût dans ses intentions. Après tout, la Sangréal ne cachait pas son dédain pour l’île. La prophétesse contempla l’idée de partir, qui fut vite remplacée par une autre stratégie, espérant surprendre son interlocutrice à nouveau.

« I hate loud noises, as you’ve certainly previously noticed. » La prophétesse marqua une pause, replongeant brièvement son regard dans l’alcool. Une nouvelle gorgée, la même légère grimace qui témoignait de son désaccord avec le liquide, celui-ci trop amer pour la secrétaire qui préférait les choses sucrées. Elle émit un son désapprobateur et déposa finalement le verre sur la table basse sans se décoller du fauteuil, le repoussant pour signaler qu’elle n’en voudrait plus. Ses yeux revinrent fixer Ylva. « And I love… bees. » Elle haussa une épaule. « They’re beautiful, the structure of a hive is really something. They’re disciplined, well-behaved, every one of them acts purposefully. » Ses doigts, délivrés du contenant transparent, vinrent se caler sur son genou redressé pour s’y croiser. Son index gauche jouait avec sa bague familiale, traçait la lettre gravée dans un cheminement habituel. « I’m not used to share, mind you. But I am wondering… what do you like? Or hate? What do you do, every day, on this Island you despise? I mean… We’ve already established that you like fire… and hate us. Is that all? Are you nothing more than the monster you’re showing off? »