Dim 17 Nov 2024, 17:25
Forever is on my mind and I have just got to find a place I belong, one I have known.
Goodbye, so long! + Melody Gardot
Malgré son insistance, il avait fallu plus d’une heure pour réussir à endormir les jumelles. Ca n’était pas surprenant, et Aran n’avait insisté seulement parce que ses filles devaient conserver leur routine, coûte que coûte. Elle-aussi aurait préféré passer la nuit avec ses enfants, qui lui avaient manquées plus qu’elle ne pouvait l’articuler. Dara avait eu la gentillesse de la laisser profiter de la soirée avec les jumelles, mais elle avait bien noté le regard appuyé qu’il lui avait lancé. Oui, il leur faudrait discuter de ce qu’il s’était passé, et Aran savait d’ores et déjà que ça n'allait pas lui plaire ; elle savait aussi qu’elle accepterait les conditions qui lui seraient posées. C’était elle, après tout, qui avait insisté pendant des années sur la nécessité d’un cadre et d’une présence permanente, c’était elle qui s’était juré de ne pas se comporter comme sa mère, et c’était également elle qui avait pertinemment suivi son erreur de jugement jusqu’au bout, jusqu’à être séparée de sa famille pendant bien trop longtemps. Aran n’était que regrets et culpabilité, et elle accepterait sa punition avec dignité. Elle pouvait déjà deviner ce que Dara demanderait, et elle se savait prête à dire oui. De toute façon, l’extérieur avait perdu son attrait. Pour le moment.
Ses filles dormaient enfin mais elle avait du mal à quitter la pièce. Appuyée contre l’encadrement de la porte, elle ne pouvait se résoudre à les lâcher des yeux, à refermer la porte derrière elle. Ca n’était que par un fil qu’elle résistait à l’envie de grimper dans le lit avec elles et de s’endormir à leurs côtés. D’ailleurs, Mr Thiethy n’avait pas hésité, lui. Il avait rendu son doudou à Aoífe avec une moue désolée, et s’était lové contre les oreillers comme si de rien était, écoutant avec les deux jumelles les histoires qu’Aran avait dû raconter dans l’espoir de les fatiguer. Il ronflait, entre les deux enfants, et Aran ne voulait jamais quitter ce moment. C’était parfait, et elle s’admonestait encore d’avoir perdu plus d’un an de cet attendrissant tableau.
Ce fut le shift soudain des sorts qui gardaient le ranch qui la fit réagir, et elle se mit en mouvement bien malgré elle, refermant la porte de la chambre le plus silencieusement possible. Le plus dur l’attendrait dans le foyer de la maison, et elle nota distraitement qu’il était bien tard pour que Bedelia rentrât — même si elle devait avouer que pour cette fois, ça l’arrangeait. Elle n’aurait pas su comment se comporter si sa belle-sœur avait été là alors qu’elle retrouvait ses filles, et sa nièce. Ca n’était qu’un mauvais moment à passer, se persuada-t-elle. Mr Thiethy avait bien calculé son coup, de s’endormir comme ça pour échapper au pire des trois courroux ; car entre Dara, Alejo et Bedelia, c’était bien cette dernière qu’Aran craignait le plus. Qu’elle sût déjà ce qu’on allait lui dire n’aidait pas, elle voulait simplement en finir, et retrouver sa famille comme avant. C’était naïf, elle le savait, mais elle ne pouvait pas s’empêcher d’espérer. Elle détestait être en désaccord avec sa famille, ça lui retournait toujours l’estomac. Laissant échapper un souffle, elle se dirigea vers l’entrée. Elle ne prit pas la peine d’allumer plus de lumières que ce que les bougies éclairaient, profitant de ses derniers moments à se cacher — comme une lâche, oui, mais Aran n’était pas parfaite. Dans quelques secondes Bedelia passerait le pas de la porte, et … Bon. Ca n’était qu’un mauvais moment à passer. Right ?
Is it love you regret? In that case you won't be returning, I guess. Darling, your eyes are so still when you speak. Do they weep? And darling, you just haven't spoken all week. One day they'll drink from our bones and sigh as they stared at our throats. And just take me, just take me home | Keaton Henson (c)flotsam.
Lun 18 Nov 2024, 18:59
SO LONG
ft. ARAN
† † †
Par moment, Bedelia regrettait de n’avoir une plus grande influence sur la fille de la Suprême qui s’entêtait à lui mettre des bâtons dans les roues. Elle savait bien, pourtant, que l’agente, bien qu’elle s’adonnât à son nouveau boulot avec son sérieux habituel, aurait préféré tout faire plutôt que de la babysitter. L’extérieur lui manquait, parfois, Bedelia se sentait étouffée par l’île qu’elle avait l’impression d’avoir parcouru de fond en comble. Elle ne pouvait même pas vraiment espionner Filippa, outre quelques rencontres malaisantes, la Suprême se faisait un devoir d’éviter la présence sa fille. En tout cas, c’était l’impression que la situation des Van Bredevoort lui donnait. À défaut, Lilith lui permettait d’avoir des informations sur un peu tout et rien, parce qu’il fallait bien discuter. Et Alba ne pouvait pas être le seul sujet de conversation des deux femmes, par ailleurs, Bedelia faisait toujours en sorte d’éviter la mention de la Juge.
Alors qu’elle passa la sensation familière des sorts se refermant sur elle à son entrée dans le ranch, Bedelia souffla. Elle avait hésité à dormir à Galaad mais ne l’y avait pas trouvé et avait donc décidé de rentrer et de le réveiller sans faire exprès pour avoir sa dose de conversation normale de la journée. Cela faisait longtemps que le soleil s’était couché alors elle n’était pas étonnée de trouver le ranch éclairé. Elle pariait sur la présence de Dara dans le salon au-dessus d’un bouquin ou en train de jouer aux cartes avec leur père. Voilà qui était idéal pour décompresser.
Elle souffla en passant la porte et entama sa danse habituelle : clefs, manteau, chaussures. Et puis : « I’m home ! », suivi de : « Dara, listen, you will not believe what Lilith told me today. That girl has some nerves, for christ’s sa¬ »
L’agente difficilement surprise se retrouve interrompue dans sa routine (rentrer, râler, s’endormir sur le canapé, épuisée, réveillée plus ou moins gentiment par son père ou son frère) et écarquille les yeux alors que se découpe dans l’ombre une forme familière mais disparue. Bedelia réduite au silence, la posture figée, se demande un instant si sa fatigue ne lui joue pas des tours, ou si l’illusionniste talentueuse qu’elle était n’avait pas laissé échapper une rune, la forçant à s’imaginer la silhouette d’Aran.
Son instinct d’Aes Sedai se contracta, ses sourcils se froncèrent et elle ne pût s'empêcher pas de soupçonner l’image. Car elle n’était qu’une image. On l’aurait prévenue plus tôt, elle l’aurait su, si la Sharp Eye était revenue. Revenue de quoi d’ailleurs, quatorze mois séparait Bedelia de la dernière fois où elle avait posé ses yeux sur la mère de ses nièces. Quatorze mois à la chercher lorsqu’elle le pouvait, avant d’être rétrogradée pour une erreur stupide. Quatorze mois à expliquer aux jumelles pourquoi Maman n’était toujours pas rentrée, à Jude pourquoi sa tante ne venait plus la chercher à l’école, quand Bedelia, Dara, Cecil ou Alejo n’y étaient pas. Quatorze moi à accepter le probable pire, au regard de la situation.
L’Aes Sedai se redressa et jeta son manteau sans se soucier du bazar pour s’approcher de sa belle-sœur, toujours peu convaincue de la réalité de sa présence. Contrairement à ses habitudes, Aran n’avait pas une tête à faire la maligne. Bedelia détectait nombre d’émotions dans le regard de la Sharp Eye, aucune ne s’affiliait à de la fierté.
La brune leva une main et planta un doigt dans la clavicule d’Aran.
Réelle.
« So, you’re real. And back. » ajouta-t-elle après quelques secondes de silence. Aran était bien là. Une vague de soulagement la traversa mais celle-ci ne fit guère l’affaire face à la colère qui sembla l’envahir beaucoup plus brutalement. « And you don’t even have a bruise to excuse yourself. » observa Bedelia, le regard affuté traçait la forme de la Sharp Eye avec attention, minutieuse, anxieuse d’y trouver la marque d’un quelconque traumatisme. Le sarcasme dont elle faisait preuve était motivé partiellement par la colère et l’inquiétude. Dehors, au-dessus du ranch, un oiseau croassant à outrance brisa le silence que l’Aes Sedai imposait. Elle se retenait de tout simplement se laisser traverser par sa nature emportée.
« Where the fuck were you, Aran ? »
(c) oxymort
Lun 18 Nov 2024, 22:00
Forever is on my mind and I have just got to find a place I belong, one I have known.
Goodbye, so long! + Melody Gardot
Elle gardait le silence alors que Bedelia procédait comme à sa habitude. A peine le pas de la porte passé, elle laissait échapper un commentaire sur sa journée — commentaire bien étrange, d’ailleurs, parce que pourquoi parlait-elle de Lilith ? — avant même d’avoir fini d’enlever ses chaussures. Aran voulait poser la question, curieuse comme à son habitude, mais elle ravala les mots fermement. Non, ça ne serait pas aussi simple pour elle, malgré tous ses espoirs. Elle eut quelques secondes pour observer sa belle-sœur en secret, bien trop peu pour noter quoi que ce soit sur l’expression de l’Aes Sedai — les bougies n’aidaient pas. Quelques secondes, et Bedelia s’interrompait, les yeux directement placés sur Aran. Sans s’en rendre compte, elle retenait son souffle. Elle ne bougea pas d’un muscle, se tenant à moitié dans le foyer et à moitié dans le couloir avec une gêne évidente. Elle finit par croiser les bras sous les attentions de Bedelia, profondément mal à l’aise, et résistant difficilement l’envie de baisser le regard. L’Aes Sedai jeta son manteau sur le côté, et Aran se mordit la langue. Ca n’était pas la peine de mentionner la pièce d’échecs antique qui avait heurté le tapis en même temps que le tissu.
Un doigt pressa contre sa clavicule, et elle resta impassible — faussement impassible. Aran n’avait jamais su camoufler ses émotions, n’y avait jamais vu l’intérêt. Ses yeux la trahissaient systématiquement, et ils la trahissaient ce soir-là aussi, un mélange de profonde tristesse et de culpabilité. Bedelia parla enfin, et Aran laissa échapper le souffle qu’elle retenait. Son cœur battait assez fort pour lui faire perdre l’audition pendant quelques secondes, avant qu’elle ne prît une seconde inspiration, retrouvant un semblant de calme. La réflexion de l’Aes Sedai la fit sourire malgré elle. Ca n’était pas le moment de faire la leçon à sa belle-sœur. D’ailleurs, elle se demandait si ouvrir la bouche n’allait pas directement lancer Bedelia dans les reproches qu’elle devinait s’accumuler sous la caboche brune. Et puis, si elle avait remarqué qu’Aran n’avait pas de bleus, c’était bien qu’elle s’en était inquiétée, non ? La bataille était à moitié gagnée, certainement. Il n’était pas difficile pour la Sharp Eye de s’en convaincre — elle s’adonnait parfois à un déni naïf qui lui facilitait la vie, déni rapidement balayé par les mots de Bedelia. Cette fois-ci, Aran ne put camoufler la grimace. Elle jeta par réflexe un regard derrière elle, vers les chambres, et fut soulagée de ne pas avoir été suivie. Bedelia n’avait pas parlé fort, mais le vocabulaire employé n’était pas adapté pour des enfants de huit ans — sans parler du fait que si les filles voyaient Bedelia, elles ne retourneraient jamais se coucher.
« Hiya, superstar. I missed you too. » Lui répondit-elle à voix basse, et ça n’était que l’instinct de préservation qui l’empêcha de ponctuer sa phrase par un clin d’œil. Il y avait un moment pour tout, et elle n’avait nullement envie de se retrouver projetée contre le mur parce qu’elle était ‘insupportable’. « Let’s not forget the young ears I spent an hour trying to get to sleep. » Continua-t-elle un peu plus sérieusement. Elle savait qu’elle n’avait aucune leçon à donner, mais ça n’était pas quelque chose qu’elle pouvait switch off. Evidemment, son dernier fait d’arme ne la mettait pas en valeur, mais Aran était une mère dévouée. « A drink, maybe ? God knows I need one. » Elle sortit enfin de sa torpeur, contournant Bedelia pour se diriger vers le salon. Bien trop consciente de l’impatience que partageaient les jumeaux Cortés, elle n’attendit pas d’être dans la nouvelle pièce pour recommencer à parler. « And you ask that as if we aren’t bound by similar oaths. » Elle fixa Bedelia d’un regard rapide par-dessus son épaule, avant de détourner rapidement le regard. Bon, clairement, ça n’était pas la bonne méthode. Arrivée devant le bar, elle se servit une généreuse dose de whisky, avant d’en faire de même pour Bedelia, et de lui tendre le verre. « I got trapped. » Confia-t-elle finalement, serrant le cristal entre ses doigts avec un soupçon de colère. Colère contre elle-même, exclusivement. « Believe me, I’m as angry as you are. Rookie mistake, really. » Elle soupira, prit une longue gorgée de son whisky, et soupira encore. Le regard de Bedelia la rendait mal à l’aise. Ca lui rappelait leur relation des années auparavant, et ça ne lui plaisait pas. « It was a cult, if you must know. And no, I didn’t stick around for fun. »
Is it love you regret? In that case you won't be returning, I guess. Darling, your eyes are so still when you speak. Do they weep? And darling, you just haven't spoken all week. One day they'll drink from our bones and sigh as they stared at our throats. And just take me, just take me home | Keaton Henson (c)flotsam.
Mar 19 Nov 2024, 19:50
SO LONG
ft. ARAN
† † †
Un premier surnom de lancé et Bedelia leva les yeux au ciel. There she goes.
Bedelia observait Aran avec colère et une pointe d’incrédulité. Une colère qui redoubla à la petite leçon que lui fit Aran et qui ne manqua guère de lui faire écarquiller les yeux devant tant d’audace. « Oh, really ? »
Celle-ci la contourna et Bedelia la suivit du regard, les yeux fixés sur la silhouette disparue pendant si longtemps et puis réapparue, sortie de nulle part, au milieu de leur entrée. L’Aes Sedai ne disait rien, rongeant son frein et suivant de près la Sharp Eye qui la contournait et puis avançait vers le salon. Aran s’expliquait et la brune écoutait impatiemment. Heureusement, Aran la connaissait maintenant depuis assez longtemps pour ne pas lui faire perdre davantage son temps. Elle ignora son petit rappel sur les serments et se retint de lever les yeux au ciel une nouvelle fois pour accueillir les explications, non pas avec scepticisme mais avec une colère renouvelée. La trop confiante, désinvolte Sharp Eye s’était faite avoir. Bedelia se mordit la langue pour ne pas sauter sur l’occasion, accueillit le verre qu’elle ne voulait pas et observait lourdement son interlocutrice.
Bedelia soupira à la petite pique finale. Elle prit un certain temps pour contempler la petite tirade, observait toujours Aran. Elle réfléchissait à la meilleure manière de prendre les choses – mais sa nature emportée, son inquiétude, prenaient déjà le pas sur la suite. Bedelia fit un effort visible pour se contenir et déposa le verre sur la première surface à sa portée, refusant de boire.
« Don’t lecture me. And don’t act like this, like this is next to nothing, with your superstar and that drink I do not want. Do you really want to compare hours spent to send them to sleep since then? » L’Aes Sedai parlait sur un ton amer, se rappelait non sans mal les attentes de ses nièces et de sa propre fille. Après tout, comment leur expliquer quelque chose qui lui échappait ? Comment calmer le chagrin des jeunes filles ? Bedelia savait pertinemment qu’elle cachait sa propre peine, puisqu’il fallait y mettre des mots, derrière les trois enfants. Mais Aran était devenue partie intégrante de sa vie, aussi pénible fût-elle. Et ses efforts vains pour la retrouver l’avaient laissé coupable et résignée. « You don’t get to define how angry I am. Because yes, maybe you made a rookie mistake – it happens. Believe me, I know. What is making me mad, the most, it that you left nothing behind you to make my job easier – to find you. Idiot. »
Bedelia prit une inspiration, imposa le silence un instant. La secrète Aes Sedai détestait se laisser emporter par ses émotions qui pourtant étaient vibrantes, chaotiques, perceptibles sous sa peau comme un courant brûlant. Les Cortès étaient ainsi, en tout cas, les jumeaux. Réservés, pourtant accueillant, mais ne se livraient que rarement. Ce caractère hérité de leur mère ne rendait pas la tâche facile à l’agente en proie à une colère qu’elle ne voulait pas laisser s’échapper sans supervision. Dans un geste destiné à la calmer, elle passa une main dans ses cheveux pour les dégager de son visage. « I am going to rant, Aran. And you will listen. » prévint-elle avec le plus grand sérieux. Avant de démarrer après avoir fait un pas en avant pour se rapprocher de la Sharp Eye. Il n’était pas nécessaire pour elle d’élever la voix, elle se ferait entendre. « Don’t you think that I know you enough to know that you didn’t just “stick around for fun” ? » demanda-t-elle, rhétoriquement, non sans s’autoriser à imiter parfaitement l’accent caractéristique de sa belle-sœur. À peine son petit tour achevé, elle reprit : « Two weeks ? Yeah, average for a Sharp Eye. One month? Psch, easy I mean, for you? You digress. It’s ok. We know that. But months passed by. You can imagine then that precisely with that knowledge of you, I was forced to accept the worse. And yet, I still tried to find you. »
Sous la surface, Bedelia se sentait s’agiter. Elle s’agaçait, elle le savait, elle-même, de se montrer défaite. De manière inhabituellement implacable, Bedelia ne laissa pas la place à Aran pour se défendre tout de suite. Elle avait décidé de lui dire ce qu’elle pensait. Elle le ferait jusqu’au bout au risque d’enterrer le reste et de garder l’aigreur pour elle-même. Rancunière, Bedelia détestait quand ce défaut lui barrait la route avec sa famille. Pour manager les autres, elle avait appris à se connaître. C’était égoïste, mais pour son bien et celui de leur famille, l’Aes Sedai devait se confier. Que ça lui arrachât la bouche ou non.
« Things are fucked up, right now, Aran. And the island ¬ » Les serments lui coupèrent la parole et une vague de fureur lui traversa la peau. Dans un geste réflexe, Bedelia se vit frapper du poing la table — mais elle se retint de justesse et pinça les lèvres. Pour écarter ensuite ses doigts et placer délicatement sa main près de son verre. Il était hors de question que son humeur réveillât les enfants. Elle s’éclaircit la gorge et releva le regard pour le planter à nouveau dans celui d’Aran qui respectait le silence permettant à Bedelia d’anticiper ce qu’elle voulait articuler.
« I have seen. » et par cela, elle voulait dire qu’elle avait espionné. Et vu. Vu l’extérieur à la déroute, vu le monstre brûler et torturer. Elle en avait perdu sa place. « I know what could have happened to you. » Et imaginé Aran et puis le reste de sa famille périr dans ses cauchemars quand elle se laissait envahir par les horreurs de l’extérieur. Les nuits agitées lui arrivaient rarement, forcée de compartimenter. Bedelia s’était promis de s’arrêter quand elle ne pourrait plus. Elle soupira à nouveau. « So yeah. I think I can swear for once, and you have to accept that we’re not the same kind of angry. I am pissed at you, do you understand? You made me come home with nothing to offer to Dara. To disappoint your children, and your niece, by the way. Myself. And your idiotic partner. » Iris se prenait une balle perdue au passage pour une raison qui échappa à l’Aes Sedai, mais ça n’était pas bien grave. Elle ne lui en voudrait pas.
L’agente soupira une nouvelle fois et secoua la tête. Tâchant de se raisonner. Ses épaules s’affaissèrent et sans que la colère ne la quittât réellement, elle sentit son énergie se faire la malle. Ses sourcils se froncèrent, étonnée par sa propre attitude. Cela ressemblait à de la défaite.
« You fucked up, you need to own that. But I’m relieved to see you well, and by well, I mean alive. » Par cela, l'Aes Sedai sous-entendait également qu'elle ne prétendait pas connaître l'étendue des dommages potentiels qu'Aran avait subi de l'autre côté.
(c) oxymort
Mer 20 Nov 2024, 19:17
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Goodbye, so long! + Melody Gardot
Ca ne serait pas aussi simple que cela. Elle ne savait pourquoi elle l’avait espéré ; elle connaissait bien Bedelia, pourtant, l’avait pratiquée de nombreuses années, et avait fini par apprendre que malgré leur côté réservé, les jumeaux n’en ressentaient pas moins. C’était idiot de se dire qu’elle s’en sortirait avec ses frasques habituelles, et elle s’en sentait presque coupable maintenant, face à l’expression de l’Aes Sedai. Il était évident qu’elle cherchait à contenir sa réaction initiale, et Aran tressaillit sans le vouloir. Le verre fut déposé et elle se sentait maintenant bien maladroite avec le sien, à moitié vide, mais encore tentant. Pas assez pour en boire, malheureusement, à présent trop mal à l’aise pour faire quoi que ce soit. Elle ne bougeait pas, coincée contre le bar et l’œil attiré par l’un des fauteuils, sans qu’elle n’osât aller s’y asseoir. Elle ravala le soupir. Elle était fatiguée, et l’idée de devoir affronter Bedelia sur ses pieds ne l’enchantait pas. Cela serait sa pénitence, pour la soirée tout du moins. C’était bien trop peu, elle serait la première à l’admettre, mais à cet instant c’était déjà beaucoup. Ca, et laisser l’Aes Sedai lui rentrer dedans en ravalant ses tentatives d’alléger la discussion. Elle pouvait voir le contrôle que Bedelia semblait exercer sur elle-même, et elle décida de ne pas lui rendre la tâche plus difficile qu’elle ne l’était.
Cela ne voulait pas dire qu’écouter Bedelia lui était aisé. Chaque mot prononcé accentuait la culpabilité par petite pique cruelle, et Aran se retrouva rapidement à serrer le verre entre ses doigts, la mâchoire crispée. Ce qui était frustrant, ça n’était pas les reproches Bedelia — mérités, parfaitement mérités — mais bien qu’il n’y eût rien qu’Aran pût dire pour arranger la situation, pour lisser les bords, pour réparer ce qu’elle avait cassé. Elle détestait les disputes, encore plus lorsqu’il s’agissait de sa famille, et c’était bien parce que le sujet n’était pas anodin qu’elle respecta la demande de l’Aes Sedai, et qu’elle continua à garder le silence. Bedelia se laissait dans sa diatribe, et Aran essayait de ne pas réagir. Elle échouait, elle le savait — elle n’avait pas la capacité de sa belle-sœur à maîtriser ses émotions — sentait son visage s’affaisser de plus en plus. L’imitation de son accent n’était même plus assez pour lui arracher un sourire — elle doutait que Bedelia l’eût apprécié.
Ce qui faillit la faire réagir, ce fut le serment qui coupa l’Aes Sedai dans son élan. Surprise, Aran avait tendu la main, prête à attraper ce poing qui avait failli heurter le meuble, mais elle avait corrigé son mouvement au dernier moment, bien convaincue que Bedelia n’apprécierait pas la tentative. Il lui était difficile de voir sa belle-sœur lutter contre les serments, et elle pesta silencieusement contre leur gouvernement. Elle se força à rester patiente, observant d’un air peiné Bedelia qui semblait retrouver un semblant de calme, et le fil de sa pensée. La suite n’était pas plus rassurante, et Aran était frustrée pour une toute autre raison. L’idée que les avalantes pussent être en danger à l’extérieur pour d’autres raisons que les habituelles, celles qui les suivaient depuis la nuit des temps, et qu’ils ne fussent pas mis au courant ? Ca lui donnait envie d’aller secouer chaque membre du Concile, et la Suprême plus particulièrement. Mais ça n’était pas le sujet, même s’il semblait que les espions de l’île cachaient quelque chose d’assez grave pour que Bedelia en fût aussi inquiète. L’Aes Sedai reprenait le fil de sa tirade et Aran grimaçait, et luttait pour ne pas détourner le regard. Sa belle-sœur méritait toute son attention, c’était bien la chose la plus juste qu’elle pouvait lui donner. Même s’il était douloureux de voir l’expression de défaite qui traversa le visage de l’Aes Sedai.
Le silence retomba, et Aran avait presque peur de le rompre. Une partie d’elle attendait de voir si Bedelia en avait terminé, et l’autre cherchait désespérément ce qu’elle pouvait dire. La vérité, c’était qu’elle n’avait aucune excuse à donner, aucun mot qui pourrait venir consoler sa famille. Avec la même expression de défaite, elle déposa son verre à moitié plein sur le bar. « You’re right. » Dit-elle simplement, comme une sentence. Que pouvait-elle dire d’autre ? Faisant un pas hésitant, puis un autre, elle céda enfin à la fatigue et se laissa tomber dans son fauteuil. Le cuir crissa agréablement sous son poids, et elle laissa échapper un soupir, relevant les yeux vers Bedelia. « There’s nothing I can say that will make any of this better. No matter how much I hate that. » Elle contemplait l’Aes Sedai avec un regard sincère, ses émotions parfaitement lisibles pour sa belle-soeur. « I am sorry, Bedelia. I’m sorry that my actions hurt you, and our family. » Elle replaça ses cheveux derrière son oreille dans un geste nerveux et inutile, puisque les mèches rebelles retombèrent rapidement contre sa joue. « I’m sorry that I worried you. I never wanted that. I never want that. I just … I followed your lessons, you know ? » Elle laissa échapper un souffle, ses lèvres s’étirant dans un mince sourire. « I’ve always been certain that out of the two of us, you had a bigger risk of … Well. That shows how much I know. »
Elle détourna le regard alors, perdant ses yeux un instant sur la pièce faiblement éclairée. Elle ne pouvait pas s’empêcher de revenir à ce que Bedelia avait mentionné à demi-mot, faute de mieux, la curiosité la dévorant comme à son habitude. Elle savait qu’il serait mal venu de poser la question, qu’il lui faudrait ronger son frein et interroger Bedelia plus tard, mais la tentation était tout de même là, lui brûlant les lèvres. Plus tard, se força-t-elle à penser. Elle retira sa main de son conduit soudainement, ne s’étant pas aperçue qu’elle avait commencé à tracer la pierre, geste qui la trahissait souvent lorsque ses pensées se trouvaient ailleurs. Son regard vint retrouver celui de Bedelia, et elle sourit à nouveau, clairement peinée. « I wish there was something I could do to make this better, but I know it doesn’t work like that. You’re entitled to your anger, as you’ve said, and I just hope that you’ll forgive me eventually, just as I’ll have to forgive myself. » Elle fit une pause, les sourcils se fronçant légèrement. « You know that I can’t promise that I’ll be safe. That would be a lie. » Lui dit-elle alors avec un regard appuyé, « But I’m not … I’m not leaving any time soon, all right? The island, I mean. No missions. Not for a long while. »
Is it love you regret? In that case you won't be returning, I guess. Darling, your eyes are so still when you speak. Do they weep? And darling, you just haven't spoken all week. One day they'll drink from our bones and sigh as they stared at our throats. And just take me, just take me home | Keaton Henson (c)flotsam.
Ven 22 Nov 2024, 19:11
SO LONG
ft. ARAN
† † †
Aran soutenait son regard et même si ça n’était pas le cas pour l’instant, Bedelia lui en serait reconnaissante plus tard. L’Aes Sedai n’avait pas tendance à juger trop vite, laissait vivre le monde autour d’elle, s’accordait des qualités et défauts de chacun. Au sein de son entourage, sa sélection était plutôt restreinte et les personnes qu’elle laissait rentrer dans sa vie privée étaient admises après un long processus qu’il lui avait fallu réarranger, rattraper, dompter, également, pour ne pas s’exclure du monde. Aran s’était retrouvée dans sa vie par un hasard qui ne la concernait pas, au départ. Mentor d’Iris, amante de Dara, elle n’était qu’une image dans le fond, un peu bruyante, beaucoup trop bavarde et désinvolte quand Bedelia avait passé des années à domestiquer son impatience, son impulsivité et sa chaleur naturelle. Elle avait envié le côté aérien de la Sharp Eye qui tranchait avec le sérieux et la réserve de son amie d’enfance ; et l’avait préféré de loin. Leurs deux vies s’étaient retrouvées emmêlées et si les deux femmes étaient opposées à bien des égards, quand Aran n’était pas là, Bedelia admettait un peu à contrecœur qu’elle tenait effectivement à sa belle-sœur.
Sa disparition n’avait donc pas été une pilule facile à avaler. Son frère, désarmé face à la détresse de ses filles, s’était reposé sur elle. Et l’Aes Sedai avait évidemment endossé les responsabilités le temps qu’il s’adapte. Elle n’avait pas souffert de la charge mais seulement de sa culpabilité à ne pouvoir faire plus. Bedelia n’aurait jamais pu remplacer Aran – n’avait pas cherché à le faire. La famille Cortès vivait chez la Sharp Eye et si la demeure était également décorée de leurs affaires et des siennes, son absence au sein de son propre ranch avait rendu l’affaire difficile. Comment ne pas penser à la Sharp Eye quand tous ses bibelots entouraient la photo de leur mère ? Aran et les Cortès cohabitaient naturellement. Il avait semblé à Bedelia qu’une pièce du puzzle leur avait manqué. Et puis, l’Aes Sedai qui avait perdu sa mère un peu trop tôt avait détesté anticiper le deuil de ses nièces.
Alors, quand Aran s’exprima finalement pour rompre le silence et admettre avec humilité que Bedelia avait raison, celle-ci s’en trouvât soulagée. Elle n’avait pas envie de se battre pour lui faire comprendre, n’avait pas envie d’avoir recours à des comparaisons cruelles. Bedelia faisait des efforts pour s’exprimer. Les habitudes légères d’Aran l’auraient poussé à la faute, et c’était probablement une des dernières choses qu’elle souhaitait.
Ses yeux se posèrent sur la silhouette de la Sharp Eye et à son tour, elle la laissa s’exprimer, supportant son regard sans animosité. Si elle ne pouvait ranger sa colère et son inquiétude d’un claquement de doigt, Bedelia n’estimait pas nécessaire de se laisser aller davantage à ce qui avait tant causé sa perte dans sa jeunesse.
La sincérité d’Aran lui permit de se décrisper. À l’écoute, elle ne se sentait pas encore de clore la distance entre elle mais l’agente lui accordait toute son attention. Elle l’observait et reconnaissait avec soulagement des gestes familiers, réflexes : le tracé de la pierre, le mouvement des épaules et des cheveux. Bedelia ne lui rendit pas son sourire pour l’instant mais accueillit la confession avec gravité.
L’Aes Sedai inspira longuement, le regard toujours posé, vif, sur son interlocutrice. Il lui fallait un peu de temps pour collecter ses pensées, même si elle savait qu’Aran n’aimait pas autant qu’elle les silences.
Après une longue minute à composer avec les confessions et les excuses de la Sharp Eye, la brune finit par rompre la tension de son corps pour se mettre en mouvement. Imitant Aran, elle se laissa tomber dans le canapé, pas assez longtemps pour profiter du dossier afin de se caler au bord de l’assise. Ses yeux glissaient sur le tapis tissé qui recouvrait le parquet et puis, finalement, en glissant une mèche derrière son oreille, elle soupira.
« You better not. » Finit-elle par lâcher, presque bougonne dans le ton qu’elle empruntât malgré elle. « Leave the island, I mean. And the moment you feel the itch to go out, you better tell us. And we’ll agree to something in case something like this happens again. It’s not up for debate. I don’t care what our oaths and jobs say. »
Il était inutile de faire davantage étalage de sa faiblesse, difficilement amenée à exprimer ce qui la taraudait au plus profond. La brune était particulièrement brute de décoffrage et n’avait aucun mal à exprimer le fond de sa pensée — tant qu’il ne s’agissait pas d’émotions trop intimes et des secrets qu’elle préférait garder pour elle. Elle glissa une main sur son visage fatigué et finit par relever les yeux pour retrouver le regard d’Aran. « Not saying I forgive you just yet. You know how resentful I can be. So, I might give you a hard time from time to time, just to remind you not to jump outside too early. You won’t get to complain about it. Not to me, at least. » L’Aes Sedai était sérieuse et parfaitement honnête, aussi bien avec elle-même qu’avec sa belle-sœur. Elle n’avait pas l’habitude de mentir — hors du travail. « Plus, I just hate that you made me understand why my boss yelled at me. Don’t ask, I can’t tell. » Sur ces mots, l’agente incapable de rester dans la même position plus d’une minute, se laissa retomber lourdement dans le canapé auquel faisait face le fauteuil d’Aran en soufflant. Mains sur les cuisses, la jambe bougeant en rythme, elle observait la Sharp Eye. « What can you tell about what happened outside, though ? » demanda-t-elle finalement, consciente des serments qui liaient les Sharp Eye.
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