CHOKEHOLD

ft Siuan
When we were made, It was no accident. We were tangled up like branches in flood. I come as a blade, a sacred guardian. So, you keep me sharp and test my worth in blood. You’ve got me in a chokehold. Beneath the stormy seas, above the mountain peaks, It’s all the same to me. It makes no difference. I’ve seen my days unfold, done to the impossible. (c) sleep token

Marcher dans les rues d’Avalon, toujours en couvre-feu, et donc complètement calmes, ne lui suffisait pas. Isla était fatiguée, évidemment, ça n’était plus vraiment quelque chose de notable à ce stade de sa vie. Mais plus que fatiguée, la frustration qui s’agitait sous sa peau et qui la rendait inhabituellement nerveuse l’agaçait franchement. Elle ne supportait pas l’impatience étrange qui tapissait sa peau. Que la pauvre jeune gardienne s’en soit prise plein le visage pour ne pas l’avoir reconnue, dépassant largement le couvre-feu sans s’en soucier, ne la gênait même pas. Un autre jour, dans d’autres circonstances, Isla se serait retenue et aurait calmement corrigé la jeune femme. Ce soir — cette nuit — Isla n’était pas d’humeur à ménager qui que ce soit. Son esprit était embrouillé. Elle n’y voyait pas clair, et tant que le calme ne serait pas revenu, et bien, elle n’épargnerait pas l’ignorance.

Puisque dormir lui était impossible, puisque sa mère l’avait encore agacée plus que de raison, puisque son père avait décidé de faire la sourde oreille. Puisque maintenir la maisonnée — le domaine Darcy, lui semblait infiniment plus pénible que le reste que sa tâche d’assistante, Isla s’était décidée à retourner travailler. Qu’il fût le milieu de la nuit ne changeait pas grand-chose à cet état de fait. Son bureau était le dernier endroit calme, lui semblait-il, sur cette île.

La rêveresse avait hésité un instant à aller toquer chez Fay qui entretenait, comme elle, des cycles horaires peu réguliers. Peu de règles s’appliquaient à l’intendante. Mais, elle le savait, il était probable que la jeune femme fut accompagnée. Même si leur dernière discussion avait permis de rendre les choses un peu plus claires entre elles, Isla n’était pas sûre de vouloir croiser l’ébéniste dans la petite maison de l’herboriste. Elle préférait quand les choses se passaient loin d’elles. Fay lui avait demandé d’essayer d’être heureuse pour elle, et si c’était quelque chose sur laquelle elle travaillait, la prophétesse n’était pas encore tout à fait prête. Si elle s’efforçait de ne plus se mettre la tête dans le sable, et bien, cela ne voulait pas dire retrouver son enfant en petite tenue aux côtés de sa cousine non plus.

Par la suite, elle avait envisagé retrouver Alba. Mais elle gardait en tête leur nuit partagée avec une frayeur qui ne manquait pas de soulever des frissons le long de son corps. Non, décidément, risquer d’à nouveau partager le lit de sa vieille amie n’était pas une option. Isla se sentait particulièrement remontée mais fragile, comme sujette plus facilement à prendre des mauvaises décisions. S’il y avait bien quelque chose dont l’île avait besoin, c’était de quelqu’un capable de réfléchir. Isla avait besoin, pour elle-même également, de prendre des bonnes décisions.

Le bureau, alors.
Il n’y avait pas un endroit plus neutre, plus stabilisant que le Capitole, dans lequel ses pas résonnaient à peine. Isla faisait des efforts pour être silencieuse, ne voulait pas perturber l’atmosphère par son passage, se complaisait dans le silence noble du cœur de l’île.

Alors qu’elle montait les étages avec habitudes, ne regardant plus le chemin parcouru, son agenda calé à sa poitrine, accolé à quelques dossiers, la prophétesse s’interrompit arrivée à un étage. La main accrochée à la rambarde, ses sens s’affinèrent, immobilisée dans son pas. La trace d’un Chaos familier la fit sourire doucement. Son visage ne répondait même plus à un besoin de stoïcisme, et elle passa par réflexe ses doigts sur ses lèvres comme pour en défaire l’expression.

La prophétesse fut surprise par sa propre hésitation. Elle avait pourtant décidé de rejoindre son bureau mais contemplait l’idée de rejoindre Siuan. La raison lui échappait. Certainement, l’arrivée de la Spymaster déroutée par l’alcool avait fait son travail dans leur relation. Mais en étaient-elles vraiment là ? À se tenir compagnie la nuit ? Isla émit un son entre ses dents, désapprobateur de sa propre pensée. Mais plutôt que d’avancer en direction de son bureau, ses pas l’amenèrent vers celui de Siuan.

La porte était entrouverte et Isla, silencieuse comme un chat, se posta dans l’encadrement de la porte en attendant que l’espionne releva la tête comme à son habitude. Celle-ci semblait elle-même dotée du troisième œil lorsqu’il s’agissait de l’assistante et remarquait toujours son arrivée. Cette fois, et Isla ne sut si c’était le son de la plume sur le papier ou ses propres pensées, mais la Spymaster ne réagit pas. La prophétesse fronça les sourcils et décida de s’annoncer.

« Siuan. »

Un long silence lui répondit. Ses yeux parcoururent l’espace, l’affreux oiseau endormi. Le gramophone roulait sur un disque terminé.
La prophétesse songea un instant à faire demi-tour. Et puis une autre idée perça son esprit et elle ne sut quelle impulsion la poussa à s’avancer doucement vers le bureau de… comment la qualifier désormais ? Vieille amie, ennemie, amante, collègue, supérieure ? Isla avait l’impression d’avoir vécu de nombreuses vies avec Siuan. Son manque de mépris pour sa propre pensée outragea la partie rationnelle de son cerveau.

« You missed something, dear. » Isla se surprit elle-même de son geste. Celle qui détestait les grands bruits venait de claquer ses dossiers contre le bureau en bois massif et de poser son doigt manucuré près du papier gratté. La prophétesse ne pouvait évidemment rien lire de ce qui était écrit.

Un mince sourire étira malgré elle ses lèvres alors que le visage de Siuan fut tour à tour tiraillé par la peur, le choc, puis l’agacement. Elle maudissait son incapacité à garder le contrôle sur ses traits alors qu’elle croisa ses bras sous sa poitrine. Mais la satisfaction de surprendre Siuan fut vive et sembla apaiser son insatisfaction. Il était si rare de le faire, après tout. Et peut-être l’espionne lui en voudrait.

« Sorry. » Les surprises allaient en s’accumulant, alors qu’elle se trouvait pour une fois parfaitement malhonnête et ne se sentait désolée que de moitié pour sa malice. « But I’ve called you. Ignoring me, were you ? »

CHOKEHOLD

ft Siuan
When we were made, It was no accident. We were tangled up like branches in flood. I come as a blade, a sacred guardian. So you keep me sharp and test my worth in blood. You’ve got me in a chokehold. Beneath the stormy seas, above the mountain peaks, It’s all the same to me. It makes no difference. I’ve seen my days unfold, done to the impossible. (c) sleep token

Isla ne retint pas le claquement de langue contre son palais alors que Siuan réagit à sa trompeuse excuse. La Spymaster semblait épuisée et ne cachait pas d’ailleurs derrière une panoplie d’attitudes insolentes ou d’illusions inutiles. La prophétesse savait de toute façon lire l’héritière avec une acuité certainement déplaisante pour cette dernière.

« Only in your dreams. »

Les traits d’humour, peu caractéristiques, étonnaient Isla. Le ton plat, un mince sourire posé sur les lèvres, la prophétesse se laissa retomber dans un fauteuil conjuré. Elle délassa sa posture habituellement rigide, imitant sans le vouloir l’indolence de la Spymaster. Le masque tombé, un peu trop naturellement peut-être, après des années à se toiser. À dire vrai, à part sa belle-sœur, la présence de Siuan était l’une des plus confortables. Malgré leurs célèbres querelles, Isla avait toujours eu le loisir de compter sur le caractère tempétueux et pénible de la blonde qui lui faisait face.

La rêveresse fredonna pensivement en réponse à l’aveu de la Damodred. Elle déposa son menton dans le creux de sa paume, observant avec insistance la silhouette épuisée, comme elle avait l’habitude de le faire. Isla avait l’habitude de scruter, tant et si bien qu’elle en avait oublié depuis longtemps ce que la lourdeur de son regard pouvait provoquer. De la gêne ou du malaise, elle s’en fichait complètement.

« You’re not delirious. But you look awful. » À cela et au possible outrage de la Spymaster, Isla haussa les épaules pour se dédouaner. « For the sake of our new-found honesty. » Son mince sourire s’étira davantage dans une étrange demonstration de caractère. La prophétesse relâcha un instant son examen pour jeter un œil au bureau de fortune, en quête, peut-être d’un remontant qui l’aiderait à passer la nuit. Sans nul doute que l’espionne saurait lui offrir cela si les manières lui revenaient. Ses yeux revinrent détailler la Spymaster, alors qu’elle se complaisait dans le silence. Ses journées et ses nuits étaient trop bruyantes, Isla entendait encore en écho les plaintes de sa mère, celles des conseillers qui défilaient dans son bureau — rien qu’un peu de calme ne lui déplaisait pas. Et si Siuan se rendormait, et bien, elle prendrait cela comme le signe pour effectivement aller travailler ; ce qu’elle était venue faire initialement. Mais Siuan reprit la parole après lui avoir rendu, enfin, un regard plus vif et franc.

« Hm. » Les doigts libres de la prophétesse glissaient sur le dessus de son genoux couvert d’un tissu foncé, les jambes croisées. L’agitation qui la maintenait éveillée était visible par ces simples gestes. Elle haussa à nouveau une épaule. « I wanted to work where it’s quiet. Can’t sleep and can’t seem to find a place to be at peace. And my mother is being an idiot again. Can’t stand her yapping. » Isla laissa le mépris tordre la fin de sa phrase, les sourcils relevés par contrariété, ses doigts glissant un instant contre sa tempe avant de se replacer sur sa joue. Il y avait quelque chose d’étrange, et de comique, presque, à ce que la prophétesse se plaigne de sa parente auprès de Siuan. La situation la renvoyait à leurs échanges vingt, trente ans plus tôt. « I’ve almost threw her out of what is my house now. » La prophétesse se livrait de sa manière habituelle, impassible, mais son regard trahissait probablement la contrariété qu’elle ressentait à l’égard de sa situation et de sa mère. « Felt your chaos. » Isla contrecarra l’irritation par un nouveau sourire fin mais pénible. « I’m not surprised to find you’ve been hiding another place to work. You really should rest. And maybe I should tell Filippa. »

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When we were made, It was no accident. We were tangled up like branches in flood. I come as a blade, a sacred guardian. So you keep me sharp and test my worth in blood. You’ve got me in a chokehold. Beneath the stormy seas, above the mountain peaks, It’s all the same to me. It makes no difference. I’ve seen my days unfold, done to the impossible. (c) sleep token

La prophétesse laissa échapper un fredonnement pour réponse à la juste intuition de Siuan. Non, sa mère n’avait pas changé — au contraire, les années passant, l’humeur de Margaret empirait. La mort de Rhiannon, plutôt que de l’adoucir, semblait l’avoir rendue plus amères encore. Sans nul doute, que l’héritage des Darcy lui échappe d’entre les mains étaient une source de frustration difficile à ignorer. Tout de même, Isla détestait à quel point sa mère manquait de grâce dans le traitement de son amertume.

Son sourire s’appuya davantage à la suite des paroles de l’espionne et Isla secoua la tête. La pauvre femme mourrait dans le regret et l’envie — elle pensait que le châtiment était suffisant. Bien plus que l’idée elle-même, la proposition de Siuan l’amusait.
La discussion était facile, tranquille. Isla s’en étonnait sans détester la sensation. Sa haine, sa précieuse colère, qui l’avait animée toutes ces années au contact de l’espionne, était-elle factice ? Siuan n’était-elle pas, par essence, une créature pénible et insolente qui lui tapait sur les nerfs ? Isla pondérait l’instant, les doigts tapotant sur son genou avec régularité comme pour rythmer le flot incessant de pensées. Il ne lui semblait pas nécessaire de s’appesantir, pour l’instant, sur le pourquoi du comment quand il était évident que cette distraction était bienvenue. La rêveresse était venue travailler, ne rêvait qu’en fait d’un peu de calme. S’il fallait accepter que celui-ci se trouvât auprès de Siuan, et bien. Déroutant, certes, mais son cupide besoin dominait sa raison.

« Tsk. Maybe you’re delirious after all. » Isla souleva une épaule, pour appuyer sa réponse, et se redressa, déposant finalement ses mains sur le rebord du bureau, étirant sa colonne au passage. Siuan se redressa également, se trouvant finalement dans son espace vital avec une proximité qu’elle n’attendait pas. Elle ne s’en retrouva pas perturbée, et décida de mettre cette étrangeté sur le compte de la redéfinition de leur relation. Après tout, aucune des deux ne marchait en terrain conquis. Isla observait la silhouette de l’espionne sans vraiment se concentrer sur ce qu’elle disait, canalisant ses pensées sur la situation même plus que le reste.

« What? »

Ses yeux retrouvèrent finalement ceux de Siuan, qui la fixait, un air perplexe collé sur le visage. Les informations semblèrent lui parvenir à rebours.

« Oh, yes. » La prophétesse se releva et s’écarta du chemin de Siuan, inspirée par l’idée de reprendre le contrôle sur son fil de pensée en déroute. « A whiskey would be good, indeed. » La Darcy s’était décalée sur le côté du bureau, ses doigts retrouvant leur place habituelle : croisés, contre son ventre, dans une attitude beaucoup moins délassée. « I mean, it won’t solve any of my problems but for now, it will do. » De nouveau, son regard trainait sur l’environnement sommaire avant de retomber sur la Spymaster, puis sur les deux verres posés sur le bureau, en train d’être remplis. Le silence lui paraissait étrangement inconfortable désormais, quand quelques minutes plus tôt, elle s’y serait laissée aller sans se poser de questions. Si tôt le verre servi que la prophétesse s’en saisit, l’attrapant des mains de Siuan sans se décaler de sa place. Elle entendait sa grand-mère, dans un coin de sa tête, lui reprocher son manque de patience et de finesse. Elle tâcha d’ignorer la voix rauque et porta le liquide à ses lèvres sans manquer d’avoir soulevé le verre en direction de Siuan au préalable. Elle décala une hanche pour s’appuyer contre le rebord et poussa finalement un soupir, le verre désormais calé contre sa joue.

« I think I’ll go scream at the sea later. » Ses yeux fixaient le mur dénué d’ornements. Elle s’entendit parler sans vraiment comprendre la raison de ses aveux idiots, adolescents, de frustration.

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La prophétesse ravala un sourire à la mention des selkies et au trait d’humour de Siuan en prenant une première gorgée d’alcool. Elle haussa une épaule pour seule réponse, le regard de l’espionne fixé sur elle. Ce qu’elle détestait quelques semaines plus tôt ne la dérangeait plus maintenant. Isla ne préférait pas se questionner sur le pourquoi du comment, c’était bien ce dont elle avait besoin en cette soirée et elle était trop fatiguée pour jouer les têtues et se refuser le luxe d’être entendue. Après tout, malgré leurs désaccords, les deux femmes avaient au moins pour elles d’être suffisamment honnêtes et de se connaître assez pour parler un tant soit peu à corps ouvert.

Siuan reprit la parole et Isla planta son regard à nouveau dans les billes claires, soupira aux nouveaux traits d’humour, arqua un sourcil, même, perplexe par la confiance de l’espionne.

La trouvaille était bienvenue certes, et une oreille attentive qui saurait certainement la comprendre était ce dont elle avait besoin. Pour autant, se confier lui était difficile et la prophétesse se redressa à nouveau, revint glisser une cuisse pliée sur la surface en bois, prenant garde de ne toucher à rien, ne rien bouger, compromettre.

« I am not seeking you out, I found you by mere chance. Are you sure that’s the first drink you’ve had tonight? » La Darcy déposa son verre, toisa l’espionne avec une indignation factice et ne tromperait surement pas son interlocutrice. Ses doigts faisaient tourner le verre et ses yeux relâchèrent Siuan pour s’accrocher au cercle clair et au liquide troublé par ses gestes. Un nouveau soupir passa ses lèvres puis une grimace, comme si la confession à venir lui arrachait quelque chose. « But if you insist… » Dans un geste réflexe, les doigts de sa main droite vinrent entourer et torturer également le pendule ébréché de sa grand-mère. La pierre rassurante lui permettait d’entretenir son calme et son équilibre. Elle ne savait par ailleurs par quoi commencer et tout lui semblait idiot. « It is stupid. » La prophétesse finit par lâcher son verre du regard et vint le replanter dans celui, inquisiteur, de Siuan. « It’s been a while now, but I feel somewhat useless. And powerless. I have the feeling that Filippa isn’t listening to me anymore. The whole Sangreal soldier thing really stayed with me. » Admettre ce qu’elle prenait pour une faiblesse de caractère la vexait profondément. « I guess it’s my ego talking and I don’t need reassurance. But, since Rhiannon passed, I have trouble keeping it in line. And it showed. » Comme pour faire passer l’aveu qui lui coutait, Isla reprit une gorgée d’alcool. Cette fois, elle se contenta de poser le verre sur sa jambe pliée et entoura ses deux mains autour. « I did my best to get Iris suspended. I even scolded that Aes Sedai of yours… Cortès, I think. Even worse and more importantly, I lost control with Fay. » Le verre tournait entre ses doigts et la culpabilité revenait se frayer un chemin dans ses pensées. « I did to her the same thing I did to Louis. » Le murmure passa ses lèvres sans qu’elle ne le décidât, le regard perdu par-delà le verre, le bureau, Siuan elle-même. Une main se releva à nouveau pour saisir le pendule entre ses doigts.
Et comme pour se ressaisir, la prophétesse se redressa, repoussa ses épaules en arrière et secoua le visage. « Told you, it is stupid. »    

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When we were made, It was no accident. We were tangled up like branches in flood. I come as a blade, a sacred guardian. So you keep me sharp and test my worth in blood. You’ve got me in a chokehold. Beneath the stormy seas, above the mountain peaks, It’s all the same to me. It makes no difference. I’ve seen my days unfold, done to the impossible. (c) sleep token

La prophétesse retint un soupir alors que Siuan élevait enfin la voix en réponse. Les silences ne la gênaient pas, mais une part d’elle attendait un conseil de la meilleure personne placée, sur cette île, pour lui répondre au sujet de Filippa. À la place, l’espionne préféra la taquiner ; ce à quoi Isla ne répondit que d’un mouvement d’épaule désinvolte et un mince sourire. Il était inutile de rappeler à la Damodred qu’elle était coupable de la même manie, profiter du liquide ambré lui paraissait préférable.

La prophétesse reposa le verre contre ses cuisses, l’entourant de ses deux mains, les ongles peints glissant sur leurs motifs creusés. Siuan soupira à nouveau et la rêveresse revint planter son regard dans le sien. Une part d’elle fut soulagée de l’entendre dire ce qui, pourtant, devrait terriblement l’inquiéter. Mais elle s’autorisait une courte pause sur le sujet. Que Filippa n’écoutât pas ses deux conseillères était particulièrement déroutant. Mais ne pas se savoir seule dans l’équation lui enlevait une épine du pied.

La suite du discours de l’espionne ne manqua pas faire tiquer la Darcy, qui baissa les yeux une seconde comme pour sonder le contenu de son verre. La prophétesse reprit une gorgée d’alcool pour faire passer la réflexion qui lui pendait sur le bout des lèvres. Elle ne comptait pas mentir à son interlocutrice et préféra attendre que celle-ci vienne à bout de son raisonnement.
Isla haussa un sourcil par réflexe alors que Siuan mentionnait Fay, cette fois, et avec justesse. La jeune femme n’avait pas mérité la froideur de sa mère de substitution, mais celle-ci peinait toujours à se faire au couple inceste. Isla ne comprenait pas comment Fay pouvait se laisser entraîner dans quelque chose d’aussi… impur. Elle le savait, l’herboriste était étrangère d’un nombre conséquent de règles, mais elle aurait préféré que la décence du sang lui soit au moins aussi sacrée qu’à elle. La prophétesse poussa un long soupir et se redressa un instant pour redresser ses épaules. Tout ça ne valait pas de s’affaler.

La Darcy passa une de ses mains sur son visage, visiblement mal à l’aise. Elle peinait à formuler la source de ses maux avec plus de clarté. Elle décida par ailleurs d’éclairer le cas de la De Beaumenoir avant d’aborder sa petite rencontre avec la maudite louve, s’accordant un peu de répit. « She… » La rêveresse s’étrangla avec sa propre parole et poussa un soupir. Il était rare que celle-ci se montra si peu digne, sa discipline était gênée par l’admission. Elle n’attendait pas que Siuan jugeât Fay aussi durement qu’elle. Elle n’accepterait d’ailleurs certainement pas qu celle-ci dénigrât l’enfant, mais elle savait que l’espionne était suffisamment intelligente et la connaissait assez pour savoir ce dont elle avait besoin. D’une oreille ouverte, qui saurait envisager la situation dans sa globalité. Isla n’était pas là pour savoir comment changer Fay, mais comment s’améliorer elle-même. Elle se réinstalla sur le bureau, bougeant à peine et serrant davantage ses jambes l’une contre l’autre et puis lissa un pli qui s’était formé.

« She’s in love with her cousin. Andrea de Beaumenoir. I find it abject. She doesn’t care at all. I couldn’t handle it and I pushed her away, as I did with when Louis chose to leave. » La rêveresse ne voulait pas développer son argument, elle savait que l’espionne connaissait intimement ce mécanisme. « I have been hiding behind work, to not have to see her when she came to talk the other night. And I just lost it. She wanted the truth, I gave it to her. » La rêveresse retint un soupir et décida de noyer le regret perdu sur sa lèvre dans son verre. « Nevertheless, we made up in the end. » Les yeux de la prophétesse se perdirent un instant dans le vide, la gorge serrée, la confession de Fay la rendait furieuse. Elle sentit ses joues se colorer de colère et sa température faire un saut. Isla luttait avec son éthique de travail, savait que la vengeance n’était pas une manière de vivre. À la place, elle déposa son verre un instant et se soulagea de sa veste dans une tentative de se réguler.

La Darcy laissa un instant le silence peser, confortable. Il y avait une vertu à formuler ses erreurs à voix haute. Elle reprit gorgée de whisky et releva enfin les yeux vers l’espionne. Ses doigts tournaient sur le cercle du verre.

« As for the wolf… I guess I couldn’t handle that either. I had to talk to her. »

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Isla supporta avec difficulté le discours de la Spymaster. Il ne lui paraissait pas particulièrement indécent de s’offusquer de la relation incestueuse de la jeune herboriste. Pourtant, aussi bien Alba que Siuan ne semblaient abonder dans son sens. Pire encore, la Juge lui avait caché la confession de Fay. Alors la prophétesse se contenta de pincer les lèvres et de ne rien répondre à l’exaspération évidente de Siuan, au risque d’être plus désagréable qu’elle ne le souhaitait à cet instant. Ses doigts glissaient nerveusement sur le verre entre ses mains. Elle écoutait attentivement l’espionne se confier, l’explication généalogique ne lui semblait guère tenir au regard des agissements des Marlborough, qu’elle savait particuliers, à leur manière. Et l’espionne sembla lire dans ses pensées pour contredire l’association faite.

L’assistante retint un soupir, tendant son verre pour se faire resservir et boire une nouvelle gorgée. Surement, l’alcool lui permettrait de mieux supporter la fin de cette discussion. À la mention d’Andrea, Isla laissa échapper un bruit souffle entendu, celle-ci n’était définitivement pas à la hauteur de Fay à ses yeux. Le regard appuyé la trouva et cette fois, elle ne se retint pas de souffler brièvement alors que Siuan lui faisait la morale. Morale qu’elle s’était faite par ailleurs, elle-même. La prophétesse savait qu’elle n’accepterait pas cette relation de sitôt mais ne comptait pas perdre Fay pour autant. La perspective, si proche, l’avait suffisamment effrayée pour cela.

Le verre au bord des lèvres, puis reposé, le toucher l’étonna sans qu’elle n’en fasse mention. Ses yeux glissèrent sur les doigts enserrant son poignet et puis se reposèrent sur le sol, confuse un instant. Le geste suffit pour couper la réponse qui se formait sur le bout de sa langue. Il était évident qu’elle ne forcerait pas l’enfant à choisir, d’autant qu’une part d’elle savait qu’elle ne gagnerait pas le cas échéant.
Louis lui manquait déjà suffisamment.

Et puis, Siuan revint sur sa petite discussion avec Ylva, son ton changeant drastiquement. Isla poussa un soupir pour première réponse avant de reprendre une gorgée d’alcool. La prophétesse ne regrettait pas sa visite chez la réfugiée. « Well, I had to see for myself. I had to talk to her and hear what she had to say. I hoped to trigger a vision, and I did, actually. Frustration, I guess, led me to her. Don’t bother yelling or something, I didn’t say it was a smart move. » Isla haussa les sourcils pour accompagner son constat. Il était évident qu’éviter la lycanthrope était préférable. Pour autant, il avait été intéressant d’échanger avec elle. « She’s mad. But I’m not telling you anything new about that. I just wanted to know where she stood about the Sangreals. Just to hear her talk and study her. » L’assistante fit tourner le verre entre ses doigts, changeant de main pour reprendre une gorgée. « She’s not hiding the fact that she does want to burn our island to the ground. »

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Les expressions exaspérées de Siuan ne la blessaient pas le moins du monde. Dans sa fierté, Isla se fichait complètement d’avoir eu tort, de céder à sa frustration, à son incapacité à rester dans l’ignorance. Elle savait que sa visite chez la Svensson n’avait rien de brillant, mais elle en était ressortie avec de nouvelles considérations et un savoir plus fin de la situation. Ou, surtout, du sujet de son expérience. Il avait été intéressant de toucher la louve, intéressant de se faufiler dans son esprit, même si ça lui avait coûté de dévoiler ce qu’elle cachait volontiers au reste du monde.

Ses pensées furent interrompues par Siuan qui se relevait, soudainement dressée avec colère et la prophétesse fronça les sourcils. Si son irritation ne la gênait pas, sa manière de lui adresser la parole était autre chose. Les deux femmes avaient visiblement passé un cap dans leur relation pour que les choses ne s’enveniment davantage, car la rêveresse se contenta de garder le silence et de l’observer reprendre son calme. La Spymaster était en mesure, elle-même, de mesurer le léger outrage. Après tout, elle méritait peut-être un peu l’exclamation d’inquiétude qui ne se manifestait naturellement ainsi chez sa vieille connaissance. Ses doigts entourant toujours le verre d’alcool, Isla observa l’espionne se rassoir et ne dit rien à son excuse. C’était inutile. Elle semblait terriblement fatiguée, plus qu’Isla n’avait l’habitude de la voir, et elle se demanda un instant si celle-ci avait même conscience de son aspect. Pour sûr, cette fois, il n’était pas nécessaire d’être une ancienne amante pour notifier l’épuisement de Siuan. Ses yeux tracèrent un instant la silhouette de la blonde, se demandant brièvement s’il y avait quelque chose qu’elle pût faire.

Une nouvelle question lui fut posée et Isla se sentit immédiatement piégée, car celle-ci était rhétorique et la prophétesse n’avait guère envie de partager sa réponse. Isla ne savait pas exactement où voulait en venir Siuan, mais l’espionne n’avait pas pour habitude d’avancer imprudemment dans leurs conversations et de parler pour ne rien dire d’important. L’examen de sa contrepartie était pénible, mais plutôt que de défaire son regard du sien, la rêveresse porta le verre à ses lèvres tout en la fixant, à l’écoute de ce qu’Isla devina être des diversions à ses serments.

Alors que Siuan avançait dans son argumentaire, sa curiosité s’en trouvait piquée et avec, un malaise grandissant de minutes en minutes. Isla connaissait les Marlboroughs par les récits sommaires de Siuan et ceux plus détaillés de sa propre famille et le rapprochement entre la louve et la famille de Siuan ne lui plaisait guère. L’image qui lui donnait la Spymaster finit de la pousser à poser son verre sur le bureau.
Siuan lui demandait si elle comprenait et Isla acquiesça et puis s’éclaircit la gorge. Elle détestait le malaise qu’elle sentait mais surtout, cette impression terrible d’avoir été plus idiote qu’elle ne l’avait pensé. Ce n’était pas une impression, et la question renouvelée la fit souffler brièvement. Ses yeux se posèrent un instant sur le sol devant elle, ses mains posées sur ses cuisses désormais. Elle écoutait diligemment Siuan lui expliquer que la louve saurait la retrouver probablement partout où elle irait désormais, sous réserve d’utiliser son chaos, et la sensation de malaise se renforçait au creux de son ventre. Dans un réflexe, sa main se porta à sa gorge et elle souffla. Il n’y avait rien à faire, de toutes façons, et Isla ne perdrait pas de temps à se lamenter sur son erreur.

« Well. Good for her. » Après un silence alourdi par les remarques de Siuan qui lui restaient en tête, Isla lâcha avec un sarcasme évident ses quelques mots avant de reprendre un peu d’alcool entre ses lèvres. Ses yeux retrouvèrent ceux de Siuan par-dessus le cercle transparent. « I advised Filippa to execute her. I left the heir’s house thinking that we let something in, far worse than we imagined, on our grounds. » La rêveresse déposa sèchement son verre sur la surface boisée, plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu, et se contenta d’un regard pour s’excuser envers la propriétaire du meuble. Elle poussa un bref soupir à nouveau et se redressa, retenant non sans mal l’élan de fierté mal placée qui l’accompagnait dans toutes ses épreuves. Isla n’était pas idiote et comprenait bien la situation et ce qu’elle avait donné à Ylva. Mais elle n’était pas du genre à s’arrêter trop longtemps sur ses fautes de jugement et préférait pallier ses rares élans d’idiotie par une réflexion appuyée. Elle n’avait cependant pas pour habitude d’admettre ses erreurs à voix haute mais Siuan la connaissait assez bien pour lire dans son regard ce qu’elle taisait. « At least I know, really, that the Sigurdsson girl is the right angle to make her angry or maybe, compliant. I already hate that brat, no matter what Alba thinks of her. » La sorcière haussa les sourcils, déplia puis replia ses jambes. « Their bond is strong, forged in fire. But I guess that you already know that and that I will have to buy you another bottle to redeem myself. »  

CHOKEHOLD

ft Siuan
When we were made, It was no accident. We were tangled up like branches in flood. I come as a blade, a sacred guardian. So you keep me sharp and test my worth in blood. You’ve got me in a chokehold. Beneath the stormy seas, above the mountain peaks, It’s all the same to me. It makes no difference. I’ve seen my days unfold, done to the impossible. (c) sleep token

Isla n’appréciait guère les recommandations de Siuan, presque des ordres, et n’aurait certainement rien écouté si la menace n’était pas si grande. Et qu’elle n’avait pas déjà fauté. La prophétesse se fichait bien de perdre la vie pour l’île, pour laquelle son devoir l’appelait à une dévotion complète, mais elle ne comptait pas non plus mourir bêtement. Être une idiote n’était pas dans ses attributions et sa fierté l’empêchait d’emprunter des postures pathétiques ou stupides. Elle réévaluait sa petite visite d’un œil nouveau, plus éclairé.
Par moment, la rêveresse regrettait grandement de ne pas avoir poursuivi son enseignement d’Aes Sedai, elle rêvait de pouvoir sonder en paix l’esprit surchargé de serments de son interlocutrice, rongeait son frein quant aux informations qui lui étaient interdites. Proche conseillère et assistante de la Suprême, elle ne s’était rarement sentit aussi éloignée d’elle. Sa vieille amie ne l’écoutait plus vraiment ces derniers temps, et Siuan avait raison. Les décisions prises lui donnaient matière à penser. Douter de Filippa n’était pas habituel pour elle et la plongeait dans un malaise terrible qui la gardait éveillée la nuit, entre autres mauvais augures qui planaient sur l’île. Elle désespérait de déclencher une vision utile. Ses cartes, battues et rebattues plus qu’habituellement, ne lui disaient rien de plus. L’avenir était flou et Isla haïssait d’être ainsi ignorante et impuissante. Ses doigts se resserrèrent par réflexe sur son pendule cassé, le regard perdu. Sa grand-mère, peut-être, aurait su y faire.

Le petit rire de Siuan la rappela au moment et elle fronça les sourcils. « Oh, shut up ! » répondit-elle immédiatement, partiellement agacée par la réflexion qui la ramenait à son erreur. Isla leva les yeux au ciel à nouveau alors que les verres claquaient et elle se contenta d’émettre un bruit de désapprobation pour toute réponse supplémentaire. Siuan se laissa retomber dans son siège et la prophétesse l’observait désormais toute entière. Il était étrange de se trouver là, en la compagnie d’une femme qu’elle semblait avoir oublié de haïr. Sa colère envers Siuan était pourtant réelle, vibrante, mais ne pesait plus sur ses épaules désormais. Le revirement de situation la troublait, lui faisait penser que son désamour avait été factice et pratique pour les occasions. Elle n’en comprenait pas le sens mais dans un sens, ne regrettait pas la perte, car elle gagnait quelque chose dans cette histoire. Siuan, malgré son entêtement et sa capacité à l’agacer, était quelqu’un avec qui elle pouvait parler sans avoir à prendre de pincettes.
La Spymaster éleva à nouveau la voix et Isla lui jeta un regard intrigué. Intégrant ce qu’elle venait de dire, elle acquiesça doucement. « I guess you’re right. And that does not bode well for us or the island. » Isla rattrapa son verre en soupirant doucement, l’évidente déclaration faite. « I don’t like not knowing, it drives me crazy : trying to understand what’s going on. Suddenly my gift is useless. And Margaret, going on and on about that savage. Although, it does distract me from her usual complaints about Fay. » La blonde finit ses paroles en portant son verre à ses lèvres, clairement agacée par l’attitude de sa mère. Elle ne rajouta pas à quel point sa grand-mère lui manquait en comparaison. « You know what, being the head of the house is not what I expected nor wanted. It’s no fun either. Only Freddie stays true to herself in the end. »

CHOKEHOLD

ft Siuan
When we were made, It was no accident. We were tangled up like branches in flood. I come as a blade, a sacred guardian. So you keep me sharp and test my worth in blood. You’ve got me in a chokehold. Beneath the stormy seas, above the mountain peaks, It’s all the same to me. It makes no difference. I’ve seen my days unfold, done to the impossible. (c) sleep token

La Darcy ne dit rien aux premiers mots de Siuan, car une culpabilité croissante la gagnait alors qu’elle regardait l’état de l’île se dégrader et la présence de réfugiés augmenter. Si Margaret était évidemment idiote et pénible à bien des égards, l’assistante s’était plusieurs fois demandée si la fermeture n’était pas une solution viable. Non par gaieté de cœur, ni par conviction, mais parce que la peur ne la quittait plus depuis des mois. Celle qu’elle avait ressentie si vivement lorsqu’elle avait vu le loup au milieu d’images prophétiques lui serrait toujours la gorge.
Alors pour la noyer, ainsi que la culpabilité qui accompagnait ses questionnements, Isla imita Siuan et reprit un peu d’alcool entre ses lèvres. La douce chaleur du liquide la ramena à l’instant présent, alors que Siuan se confessait à son tour. À son constat, la Darcy haussa les sourcils face à l’évidence. Contrairement à sa mère, Siuan comprenait ce qui relevait des responsabilités qui incombaient aux têtes de maison. Isla, bien que fière de son appartenance à la lignée Darcy n’avait jamais vraiment apprécié se savoir en tête de liste.

La prophétesse retint un soupir, faisant tourner l’alcool dans son verre. Du travail l’attendait et elle lambinait dans le bureau improvisé de la Spymaster. Elle savait qu’elle devait se lever et retourner faire ce pour quoi elle avait signé mais il y avait bien longtemps qu’elle ne s’était pas accordé un maigre moment de repos.

« For… Morgana’s sake, Siuan ! » Repos rapidement interrompu par le sous-entendu scandaleux de l’espionne. La rêveresse se redressa immédiatement, bien qu’elle n’eût pas pour habitude de s’affaler sur elle-même, mais la piqure taquine de Siuan fonctionnait parfaitement pour qu’elle se rappelle à elle-même. Elle leva les yeux au ciel, déposa son verre avec sévérité sur le bureau de son interlocutrice comme si ce simple geste suffirait à faire taire l’insolente. Mais peu de choses réduisaient Siuan au silence et celle-ci préféra s’enfoncer dans ce qui était de moins en moins implicite. Plus Siuan continuait ses idioties, plus le visage de l’assistante se faisait témoin de son aigreur et de l’absurdité de l’idée. Isla attendit que celle-ci finisse pour croiser ses mains sur sa cuisse, un geste réflexe qu’elle ne conscientisait plus mais parlait de son besoin viscéral de se garder. Se protéger, avant tout.

« Enough with this. You’re talking nonsense. », ordonna-t-elle, un air pincé coincé sur le visage. La prophétesse retint un soupir, savait qu’elle marchait dans le piège de l’espionne mais ne s’en inquiétait guère et préférait plutôt aplanir les choses, sauver sa réputation, rappeler les lignes de bienséance et de la discipline qui la caractérisaient tant. « And you’re having too much fun with this Freddie thing, I don’t like it. She is a good employee. She is loyal and isn’t causing me troubles, which is a relief stating the obvious fact that Darcys are quite difficult to manage sometimes. And I am not even talking about my… » Isla ne s’était pas entendue s’emporter, parler plus vite, un ongle frottant l’autre alors que sa main droite accompagnait désormais son discours. Elle se rendit compte de l’agacement qui avait pris le dessus quelques secondes avant de prendre une respiration. « … third eye. », acheva-t-elle plus calmement. Discipline, s’était-elle dit. Isla inspira une seconde fois longuement pour se rappeler sa rigidité habituelle. « Well, that was ridiculous of me. Pay no mind. I should go anyway. »

Ses yeux retombèrent sur la bordure de son verre plutôt que dans les yeux de Siuan un instant. Ses mains retrouvèrent leur place à plat sur ses cuisses, lissant un pli de sa robe alors qu’elle se réajustait, toujours assise de manière bien inconventionnelle sur le bureau.

« Plus, you’re probably not wrong in the end. I am stressed. But why wouldn't you be so insolent about it, I wonder. » L’admission glissée au milieu du reste et de l'ironie la surprit elle-même sans qu’elle n’insistât davantage. Ses yeux retrouvèrent enfin ceux de l’espionne et elle soupira, à nouveau, un air entendu collé sur le visage. Et un mince sourire pour se dédouaner.