C’était par une nuit noire, sous un ciel empli de nuages où il était impossible de discerner la moindre petite étoile qu’une fillette, vêtue d’une chemise de nuit, avait trouvé refuge sous les arbres constituant le bois entourant sa maison. Serrant son ours en peluche contre sa poitrine elle regardait fixement un violent feu, dont les flammes étaient la seule source de lumière, consumer la demeure où elle avait vécu toute sa courte vie. Sur son visage, dans son regard, nulle expression de peur, comme si ce qu’elle regardait là était normal. La chaleur qui se dégageait du brasier caressait sa peau en cette nuit d’hiver sans sembler l’incommoder et lorsqu’elle respira l’odeur de la fumée elle n’eut aucune toux. Tout au plus serra-t-elle son ours contre elle encore plus fort. Elle ferma les yeux un court instant et eut l’impression qu’elle pouvait le sentir, lui, alors que le bois de la maison craquait, que des planches s’effondraient. Elle porta sa main libre à la chaine qu’elle portait autour du cou et serra brièvement l’anneau qui y pendait.

« Vous avez des dons très impressionnant, jeune demoiselle. » Une voix, basse, la fit sursauter, lâcher son ours en peluche et se retourner pour faire face à un être, un homme semblait-il, tout de noir vêtu et dont une immense capuche dissimulait la moitié du visage. Elle ne pouvait voir que sa bouche et son menton. Il s’agenouilla devant elle, prit le nounours et le lui rendit. Sans un merci car incapable de parler, elle le prit vivement pour le serrer à nouveau contre elle, si fort que les jointures de ses doigts en devinrent blanches.

« Il faudrait néanmoins apprendre à les contrôler… Nous ne voulons pas d’autre accident mortel, n’est-ce pas ? » Questionna-t-il alors que ses lèvres s’étirèrent en un sourire teint d’une ironie qui prouvait qu’il n’était pas dupe, qu’il savait que même si elle n’avait que 10 ans la petite avait éprouvé le violent désir de mettre le feu aussi bien à la demeure de sa famille qu’à l’homme se trouvant à l’intérieur. Les cris d’agonie qu’il avait poussé alors qu’il prenait feu résonnaient encore dans la tête de l’enfant.

« Me suivrez-vous en un endroit où l’on prendra soin de vous et où on vous apprendra à maîtriser vos pouvoirs ? . » La petite fille tourna la tête vers l’incendie qu’elle avait déclenché, regarda les bois autour d’eux comme pour la dernière fois et mis sa main, menue, dans celle qu’il lui tendait.


La flamme qui brûlait en elle depuis toujours et qui avait fait d’elle une enfant pleine de joie de vivre, de vigueur, de vitalité et de rires semblait s’être consumée de l’intérieur pour s’éteindre et lorsqu’elle fit connaissance avec sa nouvelle famille pas le moindre mot ne sortit de sa bouche. De fait, lorsque les Graves lui furent présentés ils semblaient être l’incarnation même du couple modèle de conte de fées : grands sourires blancs étincelants, vêtements assortis jusque dans le pull noué autour des épaules mais Vanessa n’eut, en les voyant, qu’un mouvement de recul, serrant contre sa poitrine sa peluche dont elle refusait obstinément de se séparer. Solitude, silence et lecture furent ses seuls amis. Toujours accompagnée de deux objets qu’elle gardait précieusement : claddagh autour de son cou et sa peluche.

Il était un peu plus âgé qu’elle, était arrivé sur l’île trois années avant elle mais lorsque Vanessa fit la rencontre de Drake Henderson ce dernier ranima la flamme en elle, devint le nord de l’aiguille de sa boussole, son ami, son confident. Son tout. Jamais elle n’avait parlé des circonstances ayant précédées son arrivée à Avalon à personne et il fut le seul à jamais entendre son histoire, dans les moindres détails.

Vanessa avait été conçue hors-mariage, fruit de l’amour passionné que se portaient Samuel Craven et Miramanée Gruffud. Parce qu’ils étaient membre de la haute société et que les Craven étaient famille non seulement riche mais aussi très influente, ils furent mariés dans le plus grand secret alors que Vanessa, déjà, déformait la silhouette de sa mère et le certificat de mariage fut antidaté de sorte qu’officiellement les épousailles eurent lieu avant la nuit de noces. Les jeunes mariés partirent pour leur lune de miel dans le plus grand secret et ne revint que peu de temps avant l’accouchement de Miramanée.

Vanessa vint au monde par une journée de février, anormalement chaude et lumineuse pour la saison, emplissant ses parents d’un bonheur inégalable qui n’allait cependant pas durer. La tragédie allait les toucher une semaine après la naissance de leur fille lorsqu’un camion percuterait la voiture de Samuel sur une petite route surplombant la mer où elle irait s’écraser. Le père de famille périt dans l’accident, noyé dans son véhicule mais ayant reçu un coup sur la tête assez fort pour le faire sombrer dans le coma selon les expertises médicales. Noyé mais inconscient il n’eut pas conscience de mourir.

Miramanée mit cinq ans avant de convoler une seconde fois, avec un homme qu’elle aimait, mais certes moins que Samuel. Ce fut à cette époque que Vanessa fit savoir à sa mère qu’elle entendait des voix dans sa tête qui lui faisaient peur et après de nombreuses consultations la petite fut internée. Elle passa une année en hôpital psychiatrique, maison de repos pour la bourgeoisie, et finalement elle pu rejoindre sa mère et son beau-père, les médecins estimant qu’elle était guérie puisqu’elle semblait ne plus rien entendre. « Une trop grande imagination dû sûrement à une absence de figure paternelle. » Mais l’autorité du nouveau mari de sa mère, Melvyn, elle la refusa catégoriquement et malgré son jeune âge. Elle ne l’aimait pas et se méfiait de lui. Dans la maison qui avait été celle de Samuel, Melvyn s’était approprié la cave et avait interdit à quiconque de jamais y aller. Vanessa, curieuse, fut tentée bien des fois d’essayer d’y pénétrer sans jamais parvenir à trouver la clef qui fermait la porte. Jusqu’au jour où sa mère disparue. D’après Melvyn elle aurait laissé une lettre où elle avouait avoir un amant et vouloir prendre un nouveau départ sans aucune attache.

Vanessa, qui avait 10 ans à l’époque, ouvrit son esprit vers celui de son beau-père, ce qu’elle n’avait plus fait depuis des années afin qu’on ne la traite plus de folle, et découvrit alors l’horreur absolue. Ce fut le soir où elle brûla Melvyn et la maison de ses parents, souillée au-delà de l’imagination. Melvyn était un homme cruel qui cachait plusieurs cadavres de femmes dans sa cave, femmes qui avaient été annoncées disparues.  Miramanée ignorait qu’elle avait épousé un serial killer et ne devait sa mort qu’à son désir annoncé de divorcé : elle ne l’aimait plus, tout simplement.

Vanessa devint une jeune femme pleine d’entrain, souriante, au caractère de feu et qu’elle parvenait pourtant à maitriser mais incapable de se fixer sentimentalement. Depuis l’adolescence, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, elle s’est toujours enflammée sans que cela ne soit guère plus qu’un feu de paille se lassant presque immédiatement de ses coups de cœur. La jeune femme n’a d’ailleurs jamais été intime avec personne. Inconsciemment elle l’attend lui. Consciemment elle trouve toujours une raison pour annuler, pour provoquer la rupture…  C’est que son cœur est déjà habité : Drake. Elle l’aime. Férocement. Jalousement. Passionnément. Aveuglément. Elle l’aime mais se refuse à l’admettre. Et ce même alors qu’elle lui subtilise toujours des petits objets par-ci par-là. Comme des photos voir même des vêtements comme des t-shirts. Elle a même emporté une bouteille de son parfum pour que toujours ses objets sentent comme lui.

Les larcins elle en fait depuis petite ayant eu la chance de ne jamais se faire attraper. Elle a suivi des études de journalisme, adorant les potins en bonne curieuse indiscrète qu’elle est mais finalement c’est le monde de la nuit qui a trouvé grâce à ses yeux : la demoiselle a en effet ouvert son propre cabaret : la lune noire. Si elle écrit et publie des articles c’est en secret, sous un nom de plume, car la damoiselle rêve de quitter l’île. Par ses mots elle mène la guerre à la Suprême et son conseil, un nid de dictatrices qui devraient passer par la guillotine comme certain couple de monarques français. Et profitant aussi de son don de télépathie pour révéler certains secrets embarrassants pour discréditer ceux qui sont pour que Avalon reste inchangée.

Sa haine de la Suprême et de l’autorité de l’île ne lui est pas venue par hasard mais parce qu’elle se sent prisonnière. De nombreuses fois elle a voulu quitter Avalon pour rejoindre le monde des humains, désirant retrouver ses racines, retrouver les membres de sa famille biologiques toujours en vie, retourner sur les lieux où sa vie avait basculé mais toujours elle s’était heurtée à un mur. Et se sentir prisonnière quand on aime la liberté comme Vanessa, c’est comme d’étouffer, vivre sans jamais trouver l’air pour respirer. Insupportable. Elle connait certaines personnes qui désirent quitter Avalon, parcourir le monde et le conquérir parce qu’ils s’estiment bien au-dessus des humains lambdas grâce à leurs pouvoirs mais elle ne partage pas leur opinion. Pour elle qu’importe ou non d’avoir des pouvoirs : on peut vivre ensemble, parcourir le monde et en voir les merveilles sans se faire la guerre. Un peu une idéaliste qui aimerait vivre dans une utopie. Un peu rêveuse. Mais pas assez pour rester vivre éternellement à Avalon sans plus jamais la quitter. Car cette terre elle ne la considère pas comme la sienne. Et pourtant, au fil des années, elle a noué un véritable lien avec les Graves, sa famille adoptive, même si jamais elle ne les a appelés papa ou maman elle les considère quand même comme sa famille. Une partie.

Partir d’Avalon serait aussi une façon de se découvrir à travers un monde inconnu. Encore faudrait-il pouvoir amener Drake à la suivre car sans lui cela n’aurait pas la même saveur…