Ce soir s’annonçait festif. La levée du couvre-feu n’y était pas pour rien, d’ailleurs… La plupart des jeunes et des moins jeunes n’avaient qu’une envie : profiter de leurs soirées à s’enivrer à nouveau de différentes activités qui leur avaient été interdites durant une bien trop longue période. Bien entendu, certains lieux avaient joué les résistants, à l’image de l’établissement dont il passait le sas d’entrée en saluant le vigile. Il le savait. Il y avait même passé quelques soirées clandestines, malgré son statut de gardien. Une tâche sur son pedigree si ça s’était su… Fort heureusement, il était passé astucieusement, ou chanceusement, entre les gouttes.

La Lune Noire avait à présent sa petite notoriété, et la gérante s’en sortait pas si mal pour fidéliser ses visiteurs, malgré son caractère… de feu. Au sens propre. L’héritière était à la fois difficile à suivre, et si facile à percer à jour. Parfois trop. Bien souvent trop. Elle n’en était pas pour le moins attachante, une fois qu’on avait mis son obsession de longue date de côté. D’ailleurs, c’était elle qui lui avait demandé de passer plus tôt, ce soir. Soir de réouverture officielle, il n’avait pas eu beaucoup à faire pour deviner qu’elle prévoyait avoir peu de temps dès que la foule arriverait… La vraie question résidait bien plus dans la raison qui l’avait poussé à vouloir le voir lui, plus tôt. Il comptait passer, de toute manière, il n’avait donc pas rechigné à avancer son heure d’arrivée habituelle, par curiosité.

Il passa par le bar pour saluer la barmaid, avec qui il échangea quelques mots, avant de se tourner vers la salle et de repérer Vanessa. Celle-ci en fit de même l’instant d’après, et le rejoignit bien vite. Le client lui rendit son salut avant de la suivre à la table qu’elle indiqua avoir spécialement réservé pour eux. Il ne pouvait nier que ça avait quelques avantages de connaître la patronne. Et d’avoir ses habitudes, puisqu’il n’eut même pas besoin de commander lui-même. Une fois installés, elle finit assez vite par entrer dans le vif du sujet : Drake.

Oh ! Oh ben ça, c'est une surpriiiise !
Oh, c'est incroyable !
J'crois bien que j'vais crever d'une crise cardiaque tellement c'est surprenant !

Non.

L’autre gardien, et accessoirement également son ami depuis quelques années à présent, était bien trop souvent au centre des inquiétudes de la jeune femme à ses côtés. Pourquoi avait-il pu envisager qu’elle avait envie de prendre de ses nouvelles à lui ? Ahahah, la bonne blague. Rien n'importait plus que Drake, ça aurait pu rendre la plupart des gens frustrés de cotoyer les deux inséparables... Fort heureusement, Eko avait de l'affection pour son ami et collègue, et n'enviait aucunement être la cible de pareille fixette. Il admirait toutefois la faculté du maître de l'air à supporter cette pression quasi constante sans broncher.

Par contre, la raison de l’inquiétude du jour, il l’avait pas vu venir ! En effet, à sa connaissance, le fait n’était pas nouveau. Drake y habitait depuis quelques années à présent. Sa première réaction fut de rigoler spontanément en imaginant ladite Lerinda, qu’il connaissait par l’intermédiaire de son locataire justement, en train de faire du charme à ce dernier. « Pfouuuuahahah ! T’es sérieuse ?! » La question était amusée, moqueuse. Il regarda le visage fermé de la jeune femme, pu presque imaginer une flamme au fond de ses prunelles, et déglutit avant de s’arrêter net. « Oh. T’es sérieuse. » L’affirmation n’était plus ni interrogative, ni taquine.

Un soupir lui échappa.
Pourquoi était-ce à lui de faire le psy ?

« Et qu’est-ce qui te fait penser que ça pourrait être le cas ? » Il avait bien appris qu’il servait pas à grand-chose de raisonner la tempétueuse brune quand elle se mettait dans ces états. Il n’était pas dupe de l’affection maladive qu’elle portait à l’autre héritier, et s’il ne voulait surtout point analyser son comportement, il ne pouvait pas non plus l’ignorer totalement. Aussi, plutôt que de faire des suppositions ou la morale à une femme qui de toute façon n’en accepterait pas, il opta pour chercher à savoir ce qui avait déclenché cette soudaine jalousie envers la sexagénaire bien sous tout rapport.

@Vanessa Craven

S’il n’avait pas eu la formation qu’il avait eu, peut-être qu’il n’aurait jamais pris conscience des intrusions mentales de toute sa vie. Et s’il ne pouvait pas être classé dans les télépathes, il avait deux trois rudiments qui lui permettait à minima de détecter en être l’objet, comme la majorité des gardiens plus ou moins doués de cette île. C’était un peu la base quoi. Tout cela pour dire que s’il sentit l’héritière s’inviter sous son crâne, il n’en montra rien, comme à chaque fois qu’elle s’était aventurée à le faire avec lui.

Il ne prit même pas la précaution de chercher à masquer quoi que ce soit. Il avait opté depuis un moment déjà pour lui laisser croire que c’était portes ouvertes, histoire de jauger comment elle se comportait avec tout cela. Et jusqu’à présent, elle n’avait jamais franchi une limite qu’il n’aurait pas apprécié. C’est pourquoi, ce soir encore, ce fut openbar pour Vanessa, qui changea immédiatement son fusil d’épaule à la suite de sa petite incursion en synapses inconnus.

Un revirement à 180 degrés qui le laisse un peu sans voix, à vrai dire. L’attitude qu’elle adopte avec lui, quelque peu sirupeuse, le decontenance assez pour qu’il ne réagisse pas plus à l’instant même où elle noue le contact entre leurs mains. Il demeure immobile, l’avant bras toujours posé sur la table, et le dos appuyé de manière nonchalante sur le dossier de son fauteuil. Il hausse un sourcil, et la laisse déballer tout ce qu’elle a sur le coeur.

« Humm, ça va », glisse-t-il de manière assez sommaire, volontairement.

Il soutient son regard mais n’en dit pas plus. Tout au plus, l’étonnement se lit sur son visage. La pense-t-il sincère ? Oui, probablement. En partie au moins. Il sent bien qu’elle essaie de le convaincre de cela en tout cas, et son intuition lui intime bien qu’il y a un fond de vérité à tous ces mots doux qu’elle lui glisse comme une déclaration maladroite d’amitié. Trop maladroite, peut-être, pour qu’il prenne réellement la mesure de la profondeur des sentiments que lui exprime Vanessa à cet instant.

Résultat des courses, ça l’amuse plus que ça ne l’émeut. L’intrigue aussi. Autant cet air affecté qu’elle arbore à présent que de voir jusqu’où elle pouvait aller dans ses marques d’affection. Il reste toujours silencieux, la laissant aller au bout de son plaidoyer sans l’interrompre. Est-ce mesquin, voir méchant ? Ce n’est pas son idée, non… mais il n’a jamais été à l’aise avec les sentiments, les siens et ceux des autres. Il ne sait pas les accueillir avec sérenité et bienveillance, quand bien même c’est ses propres pensées, interprétées par la brune face à lui, qui mène à ce déballage de bons sentiments.

Ses prunelles passent de ce mouvement de tête qu’elle fait à la seconde main qui vient sur la sienne, lentement. Il analyse, sans vouloir arriver à comprendre le fond. La forme lui suffit pour ce soir, malheureusement pour la belle demoiselle. Il relève le nez pour la regarder à nouveau, et fini par laisser échapper un petit rire moqueur uniquement là pour masquer la nervosité que cette soudaine attention qu’elle lui porte provoque. « Euh… Ouais, ok. Merci ? Mais tu ne crois pas que t’en a un peu trop fait, pour le coup ? » Un dernier ricanement ponctue sa question, avant qu'Eko ne reporte son regard vers la salle qui commence à doucement se remplir et essaie de revenir à des choses bien plus terre à terre. « Disons que j’aurais plus à faire semblant de ne pas savoir qu’il est ouvert, et ne pas rentrer sans se faire chopper c’est plaisant. Je suppose que toi aussi, ça doit te faire plaisir, non ? »

Oui, le jeune homme est bien loin d'être exemplaire, et en cet instant il n'est peut-être pas la personne la plus empathique du monde. Malgré son instinct assez aceré quand il s'agit de deviner les non dits des gens, il est des moments où il étouffe tout cela sous une grosse couche de dénie afin de ne surtout pas comprendre. Et se protéger. De quoi ? C'est bien ça le souci, lui même ne préfère pas creuser dans cette direction non plus. Est-ce qu’il garde dans un coin de la tête le sujet initial, à savoir les inquiétudes de la patronne sur Lerinda et son locataire surprotégé ? Oui, mais il se dit que ce n’est peut-être pas le moment de remettre une pièce dans la machine à angoisses irraisonnées qui lui fait face.

@Vanessa Craven

Un haussement de sourcil surpris se glisse sur le visage du gardien alors qu’elle retire ses mains tout aussi prestement qu’elle les y avait mises, avec un air embarrassé qui ne le trompe pas. Oh, il n’en prend pas un instant ombrage, pas plus qu’il ne culpabilise à la voir ainsi suite à sa remarque. Il ne voit pas le mal dans ses propres paroles, et pense avoir fait un peu d’humour, tout au plus. Cela lui passerait bien vite, n’est-ce pas ? C’est d’ailleurs dans cette optique de lui faciliter le changement de sujet qu’il n’en fait aucune remarque, ne bronche pas et continue de lui répondre à propos de la réouverture du cabaret comme échappatoire toute trouvée à ce moment gênant où elle lui avait fait cette déclaration enflammée.

Est-ce que ça fonctionne ? Il l’espère quelques secondes, alors qu’elle lui répond par l’affirmative. « Ahahah, oui, c’est vrai. L’attrait de l’interdit est toujours grisant. » Et il savait de ce dont il parlait, lui le gardien parfois un peu trop désobéissant. Il regarde le verre que l’on vient de poser sous son nez et remercie d’un signe de tête et un sourire aux lèvres. De son côté, il n’y a pas l’ombre d’un malaise, malgré sa première pensée à l’encontre de la patronne de la Lune Noire, il est plutôt content d’être ici. Ce qu’elle a fait de ce lieu est vraiment agréable, et il ne se force jamais vraiment à venir y passer une soirée. Il s’apprête à lever son verre pour la féliciter, mais elle lui coupe l’herbe sous le pied.

Alors que ses prunelles s’étaient enfin reportées sur son amie, il comprend qu’elle n’est pas encore passée à autre chose. Il le voit dans ce regard encore bien trop fuyant pour la proposition qu’elle lui fait, les micros expressions qu’il décèle et ses mains qu’il ne voit pas, sur ses genoux. « Si c’est toi qui régale, je vais pas me priver ! » Pourquoi refuserait-il ? Ce n’est pas la première fois qu’elle fait ce geste commercial à son encontre. « Mais avant… sors tes mains de sous la table, et montre-moi. » Nul ordre aboyé, sa voix  est même plutôt douce malgré le ton ferme. Lui non plus ne lui laisse pas le temps de refuser puisqu’il se penche sur le côté pour tenter d’attraper l’une des deux. Il soupire, comprenant sans mal, peut-être à tort, ce qui la turlupine ainsi. « Eh… tout va bien, ce n'est que moi. Te prend pas tant la tête ! T’as pas à te mettre dans ces états pour si peu, tu sais… » Son ton se veut léger, et le gardien s’est redressé un peu, cherchant à croiser les prunelles claires de sa vis-à-vis.

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Il pensa, un instant, qu’il allait se faire rabrouer avec son ordre. Est-ce que ça l’aurait détourné de l’obliger à le faire ? Non. Lui aussi pouvait avoir un côté tête de mule contradictoire. Fort heureusement, il n’en fut rien et il n’eut pas à lui extirper les mains de sous la table par la force. Il vit. Et à nouveau garda toute remarque sur les micros coupures qui parsemaient le bout de ses doigts. Il nota évidemment que certaines n’étaient pas de ce soir… mais après tout, il savait comme beaucoup de monde que la nervosité se manifestait chez une personne toujours de la même manière. Vanessa aimait persécuter le bout de ses doigts, apparemment.

Et ça, ce n’était pas une information nouvelle pour le gardien, même s’il put tout de même constater qu’elle avait du être bien nerveuse ces derniers jours, vu le massacre. Ok, j’exagère peut-être un peu, mais tout de même… Cela pouvait-il être lié à ce qu’il soupçonne, même si Drake n’avait pas lâché totalement le morceau ? Bref, il avait voulu la rassurer, lui ôter au moins l’anxiété qui l’avait saisi quelques secondes plus tôt, quand elle avait lu ses pensées, et après qu’il y ai répondu peut-être un peu trop maladroitement. Il n’était pas le plus à l’aise avec tout ça. Et encore moins avec les élans d’amitié de la brune en face de lui.

Mal lui en pris, puisqu’elle en remis une couche sur les compliments, ou tout du moins ce qu’il perçut comme tel. Il se redressa, posant sur elle un regard un peu dubitatif. Si le trouble de l'héritière pouvait s’expliquer par le fait qu’elle avait espionné son état maussade passager, il la trouvait tout de même insistante sur cette culpabilité soudaine vis à vis de ses propres sentiments. Quelque chose avait changé, chez elle. Il savait l’observer depuis quelques années maintenant, et quelque chose clochait.

Oh, il n’eut pas besoin de chercher longtemps quoi. « Ne dis pas ça, tu n’es p… » Il voulait la contredire, la rassurer sur le fait qu’il n’avait pas pris ombrage de son empressement à s’inquiéter pour Drake. Il aurait aussi voulu lui assurer à nouveau qu’elle n’avait pas à changer ou à culpabiliser. Il la connaissait, l’acceptait comme elle l’était. Même si parfois, il le faisait de manière un peu bougonne, pour des raisons qui lui étaient propres. Il n’en eu pas le temps. L’avait-elle seulement entendu ? Il n’en était pas bien sûr, puisque la pensée fusa entre les lèvres de la patronne tel un boulet de canon, et laissa l’un et l’autre des participants à cette intéressante conversation tout autant interdits par la spontanéité de la révélation.

Bon, il savait déjà deux trois trucs sur le préjudice.
L’entendre ainsi de la bouche de Vanessa…

C’était…

Ses yeux s’arrondirent de surprise, pas tant par rapport au fond de l’intrigue que par la forme qu’elle avait prise. « Que… QUOI ?! » Ok, il aurait pu faire style qu’il n’avait rien entendu. Il aurait pu… Mais elle l’avait dit avec tellement de vigueur, aurait-ce été crédible ? Puis bon, ça lui permettait de mettre carrement les deux pieds dans le plat d’un coup, il n’allait pas se priver ! « Tu viens de dire quoi là ? J’ai bien entendu ? » Déjà un sourire en coin naissait sur ses lèvres, taquin. Comme souvent, il interrompit le flot de ses propres sentiments pour les étouffer, préférant se focaliser sur les tourments d’autrui. Ceux de Vanessa en l’occurrence. « Attends, attends… C’est un scoop ça… Comment… Pffff… » il se retient de rire, et pose la question la plus logique qui soit, même s'il avait déjà un petit tableau sur l'enchainement des évènements. « Comment vous avez fait votre affaire ? »

@Vanessa Craven

Il note l’embarras qui s’empare de la gaffeuse. Évidemment. Est-ce que cela l’empêche de continuer à la taquiner ? Évidemment que non. Et puis quoi encore ? C’est sa façon à lui de montrer son affection, après tout… Laissez-lui au moins ça dans cette relation étrange qu’il entretenait avec les deux héritiers. Les deux héritiers qui avaient franchi un sacré cap d’ailleurs, même si cela était dû au savant mélange de la maladresse notoire de l’un, et la protection maladive de l’autre sur le premier. Saupoudré d’une innocence partagée par les deux protagonistes, fait qui l’étonne un peu plus. Du moins du côté de Vanessa. Il ne l’imaginait pas si… prude ?

Il arbore un sourire qu’il veut le plus innocent du monde, même s’il n’en est rien et que ses yeux pétillent de malice quand, de son côté, la brune lui lance un de ces regards cherchant à le foudroyer sur place. Eh, c’est elle qui a fait la boulette, pas lui. Il se contente de hausser les épaules pour toute réponse. Il n’allait pas avouer, même s’il savait qu’elle n’était pas dupe un seul instant. Il avait promis à Drake de ne rien dire, il tenait sa promesse. Il se contenterai donc d’avoir la version de la jeune femme et de ne parler que de cette version là avec elle. Si ça c’était pas un pote prévenant, quand même !

Il se penche au dessus de la table, posant ses coudes dessus et son menton dans ses paumes de mains ouvertes. Et écoute sagement. Avec ce petit air insolemment taquin sur le visage, mais il ne l’interrompt pas. Ce qui est bien avec la demoiselle, c’est qu’elle est bien moins avare de détails que son meilleur ami masculin. Ce qu’elle semble avoir percuté d’ailleurs, si vous me passez l’expression. Qu'il est masculin, ledit meilleur ami. Il hoche parfois la tête, la penche de côté, bref réagit poliment à tout ce qu’elle lui déballe. Il reste aussi stoïque que possible malgré l'amusement global que le récit provoque, et quand bien même de désagréables sensations l’étreignent par moment.

En tenue d’Adam… Elle est mignonne !

Il reste silencieux. C’est qu’il sait que s’il ouvre la bouche, il va partir en fou rire. Clairement. Il se retient à grand mal. Il imagine la scène comique, digne d’une bonne pièce de théâtre burlesque. Les deux acteurs sont à présent tout autant perturbés l’un que l’autre, à ce qu’il peut constater de l’état de Vanessa. Et Drake n’avait guère été mieux, torturé par des questions sans fin sur cette situation. Cette non-réaction met-elle son amie mal à l’aise ? Pour sûr, mais fort heureusement c’est cet instant que choisi Jeff, le serveur, pour voler à la rescousse en proposant de commander des plats. Après la précision d’invitation de la patronne, il prit la commande que lui indiqua l’habitué sans même avoir besoin de consulter la carte. C’est que lui, cette histoire, ça lui ouvrait l’appétit, contrairement à la maladroite aide-soignante.

Un interlude qui lui permit de calmer l’envie de rire. Enfin, jusqu’à ce que Madame Curieuse lui pose une salve de questions qui le firent pouffer nerveusement. Des questions pas si lointaines de celles de Drake, d’ailleurs. Mais qui dans la configuration qui étaient la leur, le laissèrent bien plus dubitatif encore. Il n’est pas rare de parler de ça entre mecs, même si Drake faisait habituellement plutôt figure d’exception dans l’exercice. Se les entendre énoncées par une fille, une femme, de laquelle on était proche en plus… c’était… étrange.

Il s’apprête à rire pour masquer son malaise naissant, et elle doit le sentir, puisque la suite lui coupe l’herbe sous le pied. Il se contente de sourire moqueusement, voyant immédiatement la faille pour la mettre encore plus mal à l’aise qu’il ne veut bien le cacher lui même. « Dois-je en conclure que tu cherches un point de comparaison pour menacer ainsi de me dessaper ? » Eko est un as pour masquer ses propres sentiments, il le fait depuis l’âge de huit ans. Et la meilleure façon qu’il avait trouvé, c’était d’en déclencher de plus forts chez les autres en attaquant outrageusement. Il ne s’arrête donc pas là. « Tu pouvais me demander gentiment, on aurait pu s’arranger si c’était vraiment ce que tu voulais… » Son sourire est provoquant, quand bien même il serait bien embêté si elle répondait par l’affirmative. Mais il sait qu’il ne prend pas un bien grand risque. Il faut dire qu’il sait déjà les détails concernant la fuite de la salle de bains. Il garde son sourire pour etouffer son propre trouble. « Donc reprenons… Tu me demandes si une nana m’a déjà vu à poil par inadvertance ? Je reformule, pour que tu prennes bien conscience que c’est à MOI que tu poses cette question… » Il la laisse réaliser un instant avant de rire à nouveau, provocateur.

@Vanessa Craven

Peut-on parler réellement de menteur, quand l’accusé n’a expressément rien dit ? Même le mensonge par omission supposait à minima de dire au moins quelque chose pour détourner l’attention, non ? Libre à elle d’en tirer les conclusions qu’elle voulait, lui n’avait pas menti. Ni à l’un, ni à l’autre. Pas sa faute s’il était le confident privilégié ou accidentel de l’un et de l’autre, dans cette affaire qui les préoccupait tout deux tant. À croire que c’était un évènement national, non ? En tout cas, il ne pouvait nier que l’évènement était assez notoire pour les deux prudes qui se regardaient dans le fond des yeux depuis des années sans n’avoir rien tenté. De cela, il voulait bien l’admettre.

C’est que ça le mettait quand même dans un sacré triangle amoureux, cette histoire. Enfin, pas amoureux, non. Pas lui. Non. Mais un triangle étrange où il devenait celui qui comprenait et aiguillait les deux autres. Place pour le moins précaire, si vous vouliez son avis. Place qu’il devrait probablement quitter rapidement, s’il ne voulait pas se brûler les ailes et perdre ses deux amis, à vouloir ménager la chèvre et le chou sans prendre en compte les sentiments du fermier. Tsss. En tout cas, pour ce qui était de brûler, c’est Vanessa qui envisagea en premier lieu de s’attaquer à son cul.

C’était bien mal connaître le provocateur qui retourna la situation habilement, constatant à quel point elle se retient de ne pas mettre sa menace à exécution et lui donner raison. Il accueille avec un sourire encore plus effronté sa tentative vaine d’ironie. Là encore, elle ne sait pas dans quoi elle met les pieds. Loin de le déstabiliser, il ne peut s’empêcher d’entrer dans le jeu. Qui est la première qui fuira l’affrontement ? Il avait sa petite idée sur la question. « Seras-tu assez forte pour tenir jusqu’au bout de la représentation ? » Il aurait facilement pu ajouter « cette fois » mais s'abstient. Est-ce qu’il fait référence au fait qu’elle a pris ses jambes à son cou face à Drake ? Oui, évidemment. Cela dit, sa phrase pourrait sembler anodine à quelqu’un ne sachant pas ce détail, surtout dans un cabaret. Et vu qu’elle ne lui avait pas expressément dit… Son sourire ne trompe pourtant pas, et il fait exprès de lui signifier qu’elle a vu juste. Il sait.

Alors oui, il cherche à bien faire entrer dans le crâne le chemin que la brune cherche à emprunter avec sa question. Question qu’elle pense apparemment anodine, vu ce qu’il récolte comme réponse. Il s’apprête à lui rétorquer que là n’est pas le problème, quand la dernière hypothèse le souffle comme une bougie d’anniversaire esseulée sur son gâteau. « Oh. » Il se redresse, jauge du sérieux de son amie avant de réfléchir à ce qui avait pu la mener à ça. Et puis, il éclate de rire, à nouveau. Un rire franc qui ne laisse aucun doute sur une supposée manière de masquer cela ou nervosité sur ce sujet. « Aucun risque, j’aime trop les charmes féminins. » Il reprend son sourire en coin, qu’elle connaît maintenant bien ce soir. « Et puis, si ça avait été le cas, j’ai assez d’instinct de survie pour ne pas te le dire, tu serais capable de m'improviser  un bûcher en pensant que j’en pince pour Drake. Merci, mais non merci. C’est pas dans mon programme de la soirée. Breeeef. Maintenant que ce point est éclairci, là n’est pas la question. Tu n’as pas saisi où je voulais en venir, je vais donc être plus clair. » Croisant les bras, il se penche en arrière pour s’appuyer sur le dossier de son fauteuil. « As-tu seulement conscience de l’ambiguïté d’une telle question d’une femme à un homme, et de l’impact qu’elle peut avoir sur MON imaginaire ? Après quoi, je peux tout à fait y répondre, mais sauras-tu entendre les réponses ? » Oui, il maitrisait bien le concept de l'anguille, et comptait bien qu'elle fasse marche arrière sur ce sujet.

@Vanessa Craven